Horizon – Hako Hankson, artiste camerounais : «Donner les prix à partir des œuvres sur papier, c’est largement insuffisant»

Au premier jour de la biennale, des artistes ont reçu, des mains des autorités, des récompenses. Ce palmarès, s’il n’est pas contesté, suscite tout de même quelques réflexions. Hako Hankson, artiste camerounais de la sélection officielle, n’y va pas par quatre ­chemins. Selon lui, le jury a délibéré sur des ­projets sans visiter l’exposition. «C’est ­largement ­insuffisant», dit-il.

Pour un artiste, ça représente quoi d’être sélectionné à cette biennale ?
Pour un artiste, être sélectionné dans cette biennale, qu’est-ce que cela représente pourvous ?
La sélection dans une grande biennale comme celle de Dakar qui, déjà, est au troisième plan mondial d’après le classement des grandes biennales, c’est assez important. Surtout pour un artiste qui vit sur le continent africain. C’est ma première sélection officielle dans une biennale et depuis que je suis là, je découvre le Sénégal, l’art contemporain universel et ça me marque vraiment. Je pense que cette biennale va apporter une transformation dans mon propre travail.

Vous présentez une série de tableaux à cette Biennale de Dakar. Comment définiriez-vous votre travail ?
Je suis narratif dans mon travail d’artiste. Et le problème que je pose dans ces travaux-là concerne beaucoup la transhumance, c’est-à-dire les peuples qui se sont déplacés de manière volontaire ou involontaire de leur région d’origine. Quelquefois à cause des guerres tribales ou de religions. Et c’est très dommage que ce soient surtout des guerres de religions qui, aujourd’hui, sont d’actualité chez nous. Quand je parle de transhumance, c’est tout ce qui est la conséquence de ces déplacements.

Chaque tribu qui doit partir, abandonne toutes ses réalités, sa tradition, ses coutumes, et c’est tellement néfaste. Déjà que l’Afrique a connu tellement de problèmes avec la traite négrière, la colonisation. Dans une transhumance, on rencontre beaucoup de souffrances, de tortures physiques, psychologiques, intellectuelles. L’Afrique a tellement perdu, c’est le Peuple qui a dû subir le plus de migrations dans le monde. Dieu nous a tout donné, un grand continent, une grande richesse, un grand peuple. Dans mon travail, c’est un peu de cette transhumance que je parle. Et quelquefois, nos souffrances sont aussi liées à la mauvaise gouvernance de nos dirigeants qui, souvent, sont très malhonnêtes, inconscients et exploitent tout à leur propre compte, au détriment de la population. Ils ont tout vendu au détriment de leurs peuples et ils accumulent beaucoup d’argent.

Malheureusement, même quand nous avons des intellectuels sur le continent africain, ils sont toujours absorbés par des acuités matérielles. Ils ont tout bradé pour leur richesse personnelle. Je crois que c’est l’une des causes du retard de l’Afrique toute entière, la mauvaise gestion. Et c’est depuis la période de la traite négrière où les Africains ont une grosse part de responsabilité car ayant accepté de vendre leurs propres frères. Et ils les vendaient pour une poignée de perles ! Vous pouvez comprendre à quel degré de bêtise l’homme africain s’est rabaissé. Vendre son frère pour un morceau de tissu, une boîte d’allumettes, et ça continue.

Il y a un phénomène qui est récurrent et qui me choque, c’est ce qui se passe à Dubaï et au Moyen orient. Et la guerre en Ukraine a montré que les Africains sont les moins considérés partout. C’est assez malheureux pour le Peuple africain. Le grand souci que j’ai aussi maintenant, c’est de voir comment faire la transmission à la jeune génération, qui est tellement concentrée sur les réseaux sociaux et dans les banalités, les futilités. Et ça me fait extrêmement mal.

59 artistes du monde entiers ont été sélectionnés dans le In. Un bon cru ?
Je suis vraiment content de la sélection. C’est un très bon choix, qui a été impartial ; raison pour laquelle on a de très belles œuvres. Au niveau du jury, je ne vais pas le cacher parce que je suis quelqu’un qui a son franc-parler, beaucoup d’artistes ont râlé après la remise des prix. Et beaucoup ont dit qu’il fallait, et je suis du même avis, que le jury passe la veille et fasse le tour de tous les stands pour voir les œuvres qui sont prêtes et accrochées afin de faire leur choix, avant de donner les prix. Parce que si on donne les prix à partir des œuvres sur papier, c’est largement insuffisant. Mais dans l’ensemble, c’est l’une des meilleures biennales. Et par ailleurs, j’étais très content du discours du président de la République Macky Sall.

Le Président Macky Sall a surtout demandé à ce que les entreprises investissent dans l’art. Est-ce que c’est quelque chose que vous… ?
(Il coupe) Chez nous, ça n’existe même pas. Il faut que je sois sincère. Je suis un artiste et j’étais tellement surpris que ce soit le président de la République, lui-même, qui vienne, et avec une simplicité honorable, aborder le sujet. Et c’est ce genre de Président que l’Afrique a besoin maintenant, c’est-à-dire des présidents qui vont vers le peuple et qui ne pensent pas qu’ils sont des demi-dieux.

Vous dites ça en pensent à votre Président ou bien ?
Pour l’ensemble des présidents africains et pas particulièrement le mien. Que ce soit lui ou au Congo Brazza ou ailleurs, ce n’est pas différent. Sincèrement, il y a particulièrement sur le continent deux présidents, Paul Kagamé, Macky Sall, et peut-être celui du Centrafrique, qui sont assez jeunes. Et c’est pour cela que l’Afrique est très en retard ; parce que ceux-là qui devaient montrer à la jeunesse le dynamisme, l’humanisme, se considèrent comme des demi-dieux. Et le système est complètement bloqué.

Qu’est-ce que ça transmet à la jeunesse ?

«Si j’ai le pouvoir, je contrôle, je domine tout le monde et je laisse la liberté à tout un chacun de faire ce qu’il veut.» C’est pour cela que l’Afrique ne change pas. Je suis désolé mais après 60 ans d’indépendance, lorsqu’on est à Dakar, on voit que c’est une très vieille ville. L’Afrique est lente dans son évolution. Franchement, nous avons un gros retard. A Gorée, il y a des édifices qui ont plus de 200 ans. Dans la plupart des pays africains, surtout en Afrique noire, tu ne trouveras pas des édifices qui ont simplement 100 ans. En conclusion, je suis trop satisfait d’avoir été sélectionné officiellement pour cette biennale.

Et pour parler un peu de vos œuvres, vous dites que vous êtes enragé, en colère du fait du traitement infligé à l’homme noir, le statut de l’homme noir. Est-ce que votre art vous permet concrètement de faire entendre ce cri du cœur ?
Etre entendu, je ne sais pas. Et c’est pour ça que je dis que j’essaie, à mon niveau, d’attiser cette flamme qui est en train de s’éteindre. Au Sénégal, il y a quelque chose que j’ai trouvé essentiel : le wolof, qui est une langue nationale, est parlé par tous les Sénégalais. Ailleurs, on est partagés entre mauvais français et langues nationales, qu’on ne connait pas du tout. Et les langues de chez nous commencent à disparaître. Il n’y a pas de legs, de continuité. Et en tant qu’artiste, c’est un peu cette connexion que j’essaie de rétablir quelquefois, en revenant sur le travail que nos aïeux ont fait ; parce que quand on regarde mes peintures, il y a toujours des traces de statuettes, des masques qui sont nos richesses. Alors que d’autres gens introduisent dans la tête de nos enfants que ce sont des fétiches, des gris-gris. Alors déjà les Coréens,

les Japonais, les Chinois et les Arabes, ils tiennent profondément à leurs traditions et cultures. Il n’y a que les Africains qui sont partagés entre toutes ces bêtises. Les églises du réveil, l’islamisme radical et autres, qui sont des choses terribles, ne peuvent créer que des guerres. Les églises du réveil, ça fait tellement de mal aux Africains. Ça les rend imbéciles et cons. Je ne suis pas contre la religion. Dieu existe, je crois en Dieu, mais ces manières de voleurs, ces manières de prêcher Dieu et de prétendre faire des miracles plus que tous ceux qui sont venus avant… ! Essentiellement en Afrique centrale, tous les multimilliardaires sont des pasteurs, des évangélistes. Ce sont eux qui occupent le premier plan au détriment de la pauvre population qui souffre et qui va essayer de rechercher un peu de confort pour leur vie et ça, c’est avec la complicité de nos gouvernants.

lequotidien

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