Vendredi, la séance au Parlement, qui devait être centrée sur le vote du budget, a encore été agitée, après une session déjà houleuse jeudi. Des députés de la gauche radicale, qui perturbaient la séance par des interruptions répétées, ont de nouveau été expulsés de force. Des scènes rappelant le traitement subi par l’ancien président sud-africain Jacob Zuma. Il faut dire que le contexte est explosif : l’actuel président Cyril Ramaphosa, 69 ans, est accusé d’avoir dissimulé à la police et au fisc un cambriolage datant de 2020 dans sa ferme de Phala Phala, au cours duquel les voleurs auraient emporté 3,8 millions d’euros en espèces dissimulés. Cyril Ramaphosa est accusé d’avoir ensuite acheté le silence des cambrioleurs.
L’affaire a éclaté la semaine dernière, avec une plainte déposée par l’ex-chef du renseignement Arthur Fraser. Mais c’est toute l’opposition qui s’est emparée de cette affaire. Réclamant que le président fasse « toute la lumière sur ces accusations », le leader du premier parti d’opposition (DA), John Steenhuisen, a lancé : « En quoi êtes-vous si différent de votre prédécesseur ? »
Ramaphosa dénonce de « sales coups »
Dans la tourmente, le chef d’État sud-africain, sur la défensive, a dénoncé de « sales coups » et éludé les questions sur cet épineux sujet lors d’une conférence de presse. « Le vol qui a eu lieu dans ma ferme de Phala Phala en 2020 fait l’objet d’une plainte et il faut laisser la justice suivre son cours », a répété Cyril Ramaphosa, malgré les relances, accusant les journalistes de « glisser les mêmes questions sous une autre forme ». « Je ne répondrai pas aux questions sur le sujet à ce stade, je suivrai les conseils qui m’ont été donnés », a-t-il ajouté, s’exprimant pour la première fois devant des médias sur ce qui est désormais appelé « le scandale de la ferme ». Cyril Ramaphosa, à la tête d’une importante fortune personnelle, a reconnu que de l’argent avait été volé, mais il conteste le montant annoncé. Il nie avoir volé de l’argent à quiconque, déplore des « intimidations ». L’argent dérobé, dont le montant avancé est exagéré, était tiré de la vente d’animaux, a-t-il expliqué, dénonçant des « motivations politiques ».
Un timing malheureux
Ces accusations interviennent alors que l’ANC, parti au pouvoir, doit décider d’ici au mois de décembre de présenter ou non Cyril Ramaphosa comme candidat pour un second mandat à la présidentielle de 2024. Le président a déclaré qu’il se présenterait devant la commission « intégrité » du parti, qui a pour règle de suspendre systématiquement les membres faisant l’objet de poursuites pénales. Aucune date n’a été fixée.
Successeur de Jacob Zuma, poussé à la démission en 2018 après une série de scandales, l’actuel président est attendu sur le front de la corruption qu’il a promis d’éradiquer. Mais d’autres défis l’attendent, alors que le pays a été durement frappé par la pandémie, des émeutes et des inondations. « Les défis que nous devons affronter en tant que pays sont nombreux, a dit Cyril Ramaphosa, mais l’optimisme commence à apparaître à l’horizon. » En effet, l’économie sud-africaine a enregistré une croissance de 1,9 % au premier trimestre, retrouvant le niveau affiché avant le début de la pandémie de Covid-19, selon des statistiques officielles publiées début juin.
L’Afrique du Sud, pays le plus industrialisé du continent, avait été heurtée de plein fouet par la pandémie de Covid-19 alors qu’elle était déjà en récession en avril 2020. L’économie avait connu cette année-là une contraction record de 6,4 %, puis avait rebondi plus rapidement que prévu et enregistré quatre trimestres consécutifs de croissance. Le taux de chômage a chuté à 34,5 % au premier trimestre 2022 (35,3 % au dernier trimestre 2021), la première baisse depuis près de deux ans, avait annoncé fin mai l’Agence gouvernementale des statistiques.
Cette affaire tombe donc au plus mal pour le président Ramaphosa, car, dans le même temps, se jouait un bras de fer autour de la médiatrice de la République, Busisiwe Mkhwebane, celle qu’on appelle Madame Anticorruption. Alors qu’elle a annoncé ouvrir une enquête publique sur l’affaire du « scandale de la ferme », le chef d’État l’a suspendue jeudi, dans le cadre d’une longue procédure de destitution déjà en cours.
LEPOINT