Avec 89 députés, le Rassemblement national entre en force à l’Assemblée grâce à une dédiabolisation qui a déjà fait ses preuves à la présidentielle et l’effondrement du « front républicain » censé faire barrage à l’extrême droite.
Sa candidate à l’Elysée Marine Le Pen, qui avait déjà obtenu un score jamais vu au second tour de la présidentielle, avec 41,5 % des voix, a fait part elle-même lundi de sa « surprise » alors qu’elle espérait une soixantaine de députés.
Sans scrutin proportionnel et sans alliances, elle obtient un groupe presque trois fois plus nombreux que celui qu’avait présidé son père de 1986 à 1988 avec 35 députés. Le RN revendique désormais d’être le premier « parti » d’opposition à l’Assemblée devant la France insoumise, qui devrait compter entre 70 et 80 députés, et les Républicains (61 députés).
Ce résultat, loin des projections des instituts de sondage qui créditaient le RN de 20 à 50 sièges, s’explique notamment par les reports de voix, qui peuvent d’un coup apporter 30 élus supplémentaires, explique Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos France.
En cas de duels Nupes-RN, les électeurs de la coalition présidentielle Ensemble ! se sont abstenus à 72 %, tandis que 16 % ont voté pour la Nupes et 12 % pour le RN. Et « c’est l’inverse chez les LR »: 58 % sont restés à la maison mais 30 % ont voté pour le RN et 12 % pour la Nupes, note le sondeur.
Consignes pas claires
Jean-Daniel Lévy, de l’institut Harris Interactive, voit lui aussi un « double phénomène: d’abstention, qui vise à ne pas faire obstruction au RN, mais également de transferts de voix de premier tour vers le deuxième tour, qui ne sont pas uniquement des électeurs du RN ».
« L’absence de consignes de vote claires de la part d’Ensemble ! n’a pas permis au barrage républicain de fonctionner totalement » après « le +ni-ni+ de la droite sarkozyste (qui) avait déjà creusé les premières brèches », explique pour France Info Gilles Ivaldi, chargé de recherche au CNRS et au Cevipof, spécialiste du programme économique du RN.
Le chercheur avance trois autres explications: une campagne du RN « discrète et furtive, mais sur une thématique qui était au coeur des préoccupations des Français : le pouvoir d’achat », une « stratégie de dédiabolisation du RN qui n’a jamais eu autant d’effets », et des cadres « qui sont parvenus à s’ancrer localement ».
« C’est le résultat d’une très longue implantation, avec des élus de la génération Marine Le Pen, venus pour elle et par elle, mais aussi des gens qui battent la campagne depuis très longtemps », abonde le politologue Jean-Yves Camus.
M. Camus note aussi « une manière trop arrogante » d’Emmanuel Macron d’exposer sa politique et des catégories populaires qui le voient comme le champion du « mondialisme », soit le « coupable de la mondialisation » dont ils s’estiment victimes.
« Retour de flamme »
Emmanuel Macron est « victime d’un retour de flamme », selon M. Ivaldi. « Avec sa stratégie d’occuper l’espace central et le vote de rejet contre sa politique, il a laissé s’engouffrer la Nupes à gauche et le RN à droite ».
En cas de duels Nupes-Ensemble !, les RN sont restés chez eux pour la moitié d’entre eux, mais 30 % ont voté pour la Nupes et 18 % pour Ensemble !, ce qui veut dire qu’une « partie des électeurs RN a voulu se payer Emmanuel Macron », souligne M. Teinturier.
Le maire de Perpignan et vice-président du RN Louis Aliot n’excluait pas un vote Nupes pour faire tomber l’ancien chef de file des députés LREM Christophe Castaner, battu par le RN dimanche.
« Emmanuel Macron a installé le match » avec le RN en parlant dès 2019 d’un duel entre « progressistes » et « nationalistes », et « cette manière de bipolariser à mort la vie politique française a fini par donner au RN un statut d’opposant en chef », rappelle M. Camus.
« Mme Le Pen peut dire merci à M. Macron », s’est indigné sur Public Sénat le député LFI Alexis Corbière. « Quand vous faites chauffer la colle en expliquant que les idées que je porte sont les mêmes que le FN voire même pire, cela fabrique 89 députés RN ».
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