Une secte est accusée d’avoir infiltré Google. D’après le témoignage d’un ancien employé, de nombreux membres du culte occupent des postes à responsabilité au sein de l’entreprise.
Kevin Lloyd, un ancien employé de Google Developer Studio (GDS), vient de déposer une plainte à l’encontre du géant de Mountain View. Engagé comme producteur au sein de la société de production interne de Google en 2017, il affirme avoir été licencié pour avoir voulu dénoncer l’emprise d’une secte religieuse.
Le trentenaire accuse Google de licenciement injustifié, représailles, discrimination et d’avoir provoqué chez lui une grave détresse émotionnelle. Il a également déposé plainte contre Advanced Systems Group (AGS), l’agence d’intérim qui l’a engagé pour le compte de Google.
« J’ai été licencié de mon équipe là-bas en février 2021 parce que j’ai tiré la sonnette d’alarme au sujet d’une secte au sein de Google, un groupe appelé Fellowship of Friends », relate Kevin Lloyd dans un article publié sur Medium. Nos confrères du New York Times ont pu vérifier les allégations du plaignant en interrogeant huit employés actuels et anciens de Google.
La secte Fellowship of Friends
D’après Kevin Lloyd, 12 employés de Google Developer Studio sont membres de la secte. Lors de son arrivée chez Google, le vidéaste s’est rendu compte que plusieurs de ses collègues venaient de la même petite ville : Oregon House. Il s’agit d’une petite communauté rurale dans le comté de Yuba, en Californie. Plus tard, il a appris que la bourgade abritait en fait une secte.
Les informations concernant Fellowship of Friends (« Communauté des amis » en français) ne manquent pas sur la toile. Sur le site Web officiel du groupe, on apprend que la communauté a été fondée par un individu appelé Robert Earl Burton, le 1er janvier 1970, à San Francisco. La secte affirme compter 1 500 membres et disposer de 50 centres dans le monde.
Le centre spirituel de l’organisation en Californie comprend « environ 1 200 acres de forêt de pins et de chênes et de prairies ». Le site assure que 500 personnes y résident. Les membres sont tenus de verser 10 % de leurs revenus mensuels à l’organisation.
La secte repose sur une philosophie intitulée la Quatrième Voie. Cette doctrine propose à ses adeptes d’atteindre un état de conscience plus élevé grâce à l’Art. C’est pourquoi l’organisation a amassé « des œuvres d’Art du monde entier, y compris plus de 11 millions de dollars en antiquités chinoises ».
On trouve également de nombreuses informations sur les dérives de Robert Earl Burton et des membres de Fellowship of Friends. Jennings Brown, un journaliste d’investigation américain, a notamment consacré un podcast à ses recherches au sujet de la secte. Il a évoqué ses découvertes dans une interview accordée au New York Post.
En interrogeant d’anciens membres, le journaliste a appris que le fondateur organise des rituels lors desquels il tente d’avoir des relations sexuelles avec 1 000 hommes différents. Ils accusent Robert Earl Burton d’abus sexuels, surtout sur les membres les plus jeunes du culte. L’ancien professeur exige aussi que toutes les femmes qui tombent enceintes avortent de leur enfant.
Contacté par le journaliste, Charles Randall, un ancien membre de la secte, affirme que la religion a été uniquement inventée pour couvrir et justifier les agissements de Robert Earl Burton. Les faits sont aussi relayés par des journaux comme le Los Angeles Times ou le San Francisco Chronicle.
De nombreux membres travailleraient chez Google
Google entretiendrait des liens étroits avec la communauté. De multiples membres de la secte occuperaient des postes à responsabilité au sein de l’entreprise. D’après les informations du New York Times, il s’agirait notamment de Peter Lubbers, l’actuel dirigeant de Google Developer Studio. Sous sa houlette, la société de production a engagé plusieurs membres de la secte.
Le géant de la Silicon Valley aurait par ailleurs fait appel à des membres de la secte et à leurs proches pour organiser des événements, comme la Google I/O. Lors de ces occasions, Google aurait servi le vin produit par le domaine viticole détenu par l’organisation, le Grant Marie. La firme achèterait pour des centaines de milliers de dollars de bouteilles tous les ans.
« Ils avaient même installé des stands juste pour parler de leur vin lors de ces événements – des événements comme l’after-party Google I/O et l’Android Summit, de grands événements avec des milliers d’invités », déclare Kevin Loyd.
Le New York Times assure que Google a aussi payé pour « installer un système de sonorisation à la pointe de la technologie » dans la maison d’un des membres de la secte.
Dans sa plainte, Kevin Lloyd explique avoir demandé à son supérieur de porter l’affaire devant les ressources humaines. Le responsable lui a déconseillé d’ébruiter ses soupçons s’il ne voulait pas perdre son emploi. Dans un premier temps, le vidéaste a obtempéré. Plusieurs mois plus tard, il est revenu à la charge, rongé par la culpabilité.
« Il m’a demandé de me taire. Il m’a dit de ne le dire à personne. […] Il m’a rappelé à nouveau que si je me plaignais à ce sujet, je pourrais perdre mon emploi », relate l’ancien employé.
Après cet échange, Kevin Lloyd a été licencié. Le trentenaire est persuadé que son supérieur a orchestré son renvoi afin d’éviter un scandale. Il a demandé l’avis du syndicat des travailleurs d’Alphabet, maison mère de Google, sur la question. Sur conseil des syndicats, il a engagé un avocat pour déposer plainte devant les tribunaux.
Google répond aux accusations
Le New York Times est entré en contact avec Google dans le cadre de son enquête. Le géant américain dément les faits et assure avoir « mis en place des politiques de longue date des employés et des fournisseurs pour prévenir la discrimination et les conflits d’intérêts, et nous les prenons au sérieux ».
« Il est contraire à la loi de demander les affiliations religieuses de ceux qui travaillent pour nous ou pour nos fournisseurs, mais nous examinerons bien sûr en profondeur ces allégations pour toute irrégularité ou pratique contractuelle inappropriée. Si nous trouvons des preuves de violations de la politique, nous prendrons des mesures », déclare Google dans un communiqué.
De son côté, le responsable de Google Developer Studio explique que ses « croyances religieuses personnelles » relèvent de sa vie privée et « n’ont jamais joué un rôle dans l’embauche » de ses collaborateurs. Le procès opposant Kevin Lloyd à Google est toujours en cours.
New York Times