Naïma Huber Yahi, aux artistes de l’immigration, la France reconnaissante

« Qui a envie de danser ? Ce soir, on va chanter dans toutes les langues » : sous sa direction, le Musée national des arts et métiers de Paris s’est transformé, le temps d’une soirée, en karaoké. En mode chauffeuse de salle, Naima Huber Yahi ouvre le bal avec la chanson « Ya Rayah » de Dahmane El Harrachi, popularisée par Rachid Taha en 1997.

Une manière de cloner en chansons la première vie de l’exposition « Douce France, des musiques de l’exil aux cultures urbaines », qui entend faire reconnaître les apports culturels et artistiques méconnus de l’immigration dans la culture française, avant de partir en régions en 2023.

« Mon travail est thérapeutique », explique à l’AFP Naima Huber Yahi, 45 ans. « Il s’agissait pour moi, comme pour d’autres, de resoudre des problématiques identitaires : comment fait-on pour être français et s’inscrire dans la mémoire collective quand on est enfant d’immigrés et absent du récit national ? »

Rien ne destinait cette ex-banquière, fille d’immigrés algériens, à s’emparer de ce sujet dans le costume de commissaire d’exposition depuis la grande rétrospective « Générations » (2009-2010) au Musée de l’Histoire de l’ l’immigration, un Paris.

« Le jour ou m’a propose une promotion, j’ai demissionne et reprend mes études », raconte celle qui a grandi a Tourcoing, dans le nord de la France, avant de passer quatre ans dans le quartier d’affaires de La Défense chez General Electric.

– Place Cheikha-Rimitti –

Après son doctorat soutenu en 2008 sous la direction de l’historien Benjamin Stora, spécialiste du Maghreb contemporain — « le seul qui avait compris l’intérêt de ma these » sur l’histoire culturelle des artistes algériens en France (1962-1987) – , elle se met aussi à écrire documentaires et spectacles musicaux.

Dans la foulee du succes de « Barbes cafe », spectacle retracant le parcours des chanteurs immigres algeriens, ouvriers le jour et artistes la nuit, elle se penche ensuite sur le sort des femmes immigrees avec « Ne me liberez pas, je m’en charge ! “.

« Après celle de mon père, j’ai écrit l’histoire de ma mère », raconte-t-elle.

Une manière aussi de rendre hommage aux grandes chanteuses de l’exil comme Cherifa, Hanifa, Noura ou Cheikha Rimitti qui ont sublime, en berbère ou en arabe dialectal, les combats de ces femmes pour l’émancipation.

Fils plus beau fait d’armes ? Réussir à faire numéroter le compositeur Kamel Hamadi et la chanteuse Noura, auteurs de nombreux disques d’or dans les années 1970, chevaliers des Arts et des Lettres en novembre 2008.

« Ce fut un moment très fort », se souvient auprès de l’AFP Mustapha Amokrane, ancien chanteur du groupe Zebda, lui-même déjà décoré, qui leur avait remis la distinction avec son frère Hakim.

« On s’est rendu compte qu’ils ne l’étaient pas alors qu’ils ont eu une carrière tellement plus complète que la notre. « Quand tu dis ca, c’est fou », racontet-il.

Après les décorations officielles, restait à inscrire la mémoire de la prétresse du rai Cheikha Rimitti, décédée en 2006 à Paris, dans l’espace public.

Chose faite en juin 2021 avec l’inauguration d’une place en son honneur dans le quartier cosmopolite de la Goutte d’Or à Paris, près du boulevard Barbes, ou elle avait ses habitudes.

« J’ai dit à la mairie du 18e arrondissement que Barbes est la capitale des musiques de l’exil, et qu’il fallait que ces hommes et ces femmes, qui font aussi partie de notre patrimoine, soient représentées dans la ville », souligne Naima Huber Yahi. Le début d’une reconnaissance tant attendu.

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