Alors que le fonds souverain marocain Ithmar Capital a été élu en janvier, et ce pour trois ans, à la présidence du conseil d’administration du Forum international des fonds souverains (IFSWF), une première africaine, le royaume chérifien a abrité les 20 et 21 juin derniers le Forum africain des investisseurs souverains.
L’occasion de faire le point sur les opportunités du continent et sur la manière, pour les fonds africains, de contribuer à mieux nourrir des économies résilientes et inclusives, de travailler à une meilleure articulation pour répondre aux défis qui attendent l’Afrique sur le chemin d’un développement durable attentif au changement climatique, mais aussi à l’évolution de la situation géopolitique et géoéconomique internationale telle qu’imposée par les constats tirés des conséquences de la crise russo-ukrainienne ainsi que de la récente pandémie de Covid-19.
Organisés autour de l’Africa Sovereign Investors Forum (ASIF), dix fonds souverains africains travaillent d’ores et déjà à renforcer leur coopération pour mieux catalyser des opportunités d’investissement et mobiliser plus de capitaux au profit du continent africain et de son développement. Directeur général d’ithmar Capital, fonds d’investissement stratégique multisectoriel qui compte appuyer aujourd’hui les initiatives en faveur de l’économie verte mais aussi promouvoir le rôle de l’investissement comme levier d’accélération d’un développement durable et inclusif, Obaid Amrane s’est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : Rabat et le Maroc viennent d’abriter la conférence de lancement du Forum africain des investisseurs souverains. En quoi la question des fonds souverains est-elle cruciale pour l’Afrique aujourd’hui ?
Obaid Amrane : Permettez-moi de commencer ma réponse en citant un extrait du message adressé par Sa Majesté le roi Mohammed VI ? que Dieu L’assiste ? à ce sujet aux participants et qui rappelle la nécessité d’une Afrique entreprenante et audacieuse, relevant ses défis et les transformant en opportunités.
Les 20 et 21 juin derniers : les patrons des fonds souverains africains lors de l’ouverture de leur Forum à Rabat. © DR
Les défis structurels et conjoncturels que doit relever notre continent imposent dans le contexte actuel un changement de paradigme dans la façon de concevoir le développement et de financer la croissance. Les fonds souverains ont à ce titre un rôle déterminant à jouer, car ce sont des outils de développement stratégique qui visent à soutenir les économies de leurs pays en faisant converger les priorités nationales avec les exigences du secteur privé. Ils ont la capacité de parler le langage des investisseurs privés et de faire la synthèse entre les sphères publique et privée. Ils offrent ainsi une grande flexibilité à leurs mandants pour orienter les capitaux privés vers les secteurs productifs et les infrastructures prioritaires.
Combien de fonds souverains l’Afrique compte-t-elle aujourd’hui et quel est leur réel impact économique et social sur l’évolution des pays ?
Les fonds souverains gagnent du terrain en Afrique. Nous en sommes d’autant plus ravis que cette dynamique s’est accélérée concomitamment à l’élection du Maroc à la présidence du Forum international des fonds souverains (IFSWF).
J’aimerais apporter quelques précisions qui me semblent nécessaires parce que les fonds souverains en Afrique ont un mandat spécifique. En effet, à la différence des fonds souverains qui gèrent des capitaux provenant de la vente d’hydrocarbures ou des excédents commerciaux, les fonds souverains en Afrique sont ce que nous appelons des fonds stratégiques de développement, dont l’objectif est de mobiliser les capitaux internationaux, en maximisant l’effet de levier sur l’argent public qu’ils déploient dans des projets dits stratégiques.
Pour revenir à votre question, entre les fonds en activité et ceux en création, il existe environ 25 fonds souverains à travers le continent. La grande majorité a pour objectif la mobilisation de capitaux comme expliqué précédemment. Ceci dit, il existe également des fonds dits de stabilisation ou de transfert intergénérationnel des richesses.
Le roi Mohammed VI a lancé un véritable appel en faveur d’une industrie africaine de l’investissement. Comment voyez-vous la déclinaison de la situation actuelle vers cet état de fait ?
C’est un appel auquel ont adhéré l’ensemble des membres de notre forum tant il est pertinent et met en exergue un des défis majeurs que rencontre le financement du développement et de la croissance en Afrique. Il s’agit en fait d’une industrie en amont du reste des secteurs des économies africaines. Il est aujourd’hui effectivement inconcevable que l’Afrique ne puisse pas mobiliser les capitaux nécessaires à son développement alors que le capital est abondant à l’échelle internationale et ne trouve pas d’emplois. Il est donc primordial de réunir les conditions nécessaires pour créer et viabiliser les opportunités d’investissement afin d’attirer les capitaux internationaux et bâtir ainsi cette industrie de l’investissement qui démarre de l’idéation jusqu’à la mise en service en passant par la préparation du projet et la mobilisation des financements.
Les critères des investisseurs internationaux imposent que les projets soient structurés et gérés selon des standards communément admis, notamment en termes de bancabilité et de normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Ithmar Capital et ses pairs africains ambitionnent d’adresser ces enjeux en mutualisant leurs efforts afin de devenir plus audible auprès de la communauté des investisseurs long terme et des marchés financiers internationaux. Il est aujourd’hui urgent de corriger la perception qu’ont les investisseurs de l’Afrique pour que celle-ci puisse accéder aux marchés et aux instruments financiers à de meilleures conditions sur la base du risque réel et de la place qui doit lui revenir au sein de la communauté internationale, eu égard à ses potentialités mais surtout ses perspectives tant démographiques qu’économiques.
Comment les fonds souverains africains pourraient-ils composer avec les autres acteurs financiers pour faciliter au continent de relever les défis que sont, entre autres, la sécurité alimentaire, la sécurisation énergétique, la protection sanitaire, le changement climatique, etc ?
Comme évoqué précédemment, les fonds souverains agissent en investisseurs patients ainsi qu’en tiers de confiance en assurant le relais entre les priorités nationales à long terme et les investisseurs privés grâce à une approche partenariale. L’intervention des fonds souverains est à ce titre déterminante, car elle vient compléter les dispositifs des pouvoirs publics par des outils et instruments de la sphère financière privée. Ils jouent ainsi un rôle pivot et peuvent se positionner au centre de l’équation économique.
Dans ce sens, l’Africa Sovereign Investors Forum (ASIF) fédère les principaux fonds africains afin de mutualiser les efforts et les savoir-faire dans le but de maintenir un dialogue continu et développer des projets d’investissement concrets dans des secteurs prioritaires. À ce titre, les membres d’ASIF ont retenu, dans le cadre de l’accord signé, certaines thématiques stratégiques à savoir la connectivité à travers les corridors et les hubs physiques et numériques ainsi que les secteurs liés aux souverainetés alimentaire, sanitaire et énergétique. D’autres thématiques d’intérêt pour le continent sont également considérées telles que celles liées au changement climatique, l’urbanisation ou encore celles qui contribueraient à l’accélération de l’intégration régionale.
Comment les fonds souverains pourraient-ils accompagner l’Afrique sur la voie d’une meilleure intégration symbolisée par la Zlecaf et d’une industrialisation plus inclusive autour de plus de création de chaînes de valeur locales ?
ASIF est en soi une illustration de l’intégration africaine. Une Afrique par les Africains et une Afrique pour les Africains, comme l’a prôné Sa Majesté le roi dans son message. Il est évident que la Zlecaf créera un marché important et de nombreuses opportunités qui sont aussi des besoins en investissements qui ne pourront être financés sans des démarches volontaristes et concertées. Il s’agit en fait de repenser les schémas de financement de la croissance.
Les fonds souverains seront clairement un des outils clés pour la mise en ?uvre et le succès de la ZLECAF à travers le financement de projets structurants dans un cadre partenarial avec le secteur privé. L’industrialisation de l’Afrique est certes un des objectifs d’ASIF, mais pour une industrie compétitive il y a des prérequis que sont les infrastructures, notamment de transport et électriques, et la valorisation des ressources naturelles, tous les deux des objectifs clés inscrits dans la feuille de route d’ASIF.
D’aucuns estiment qu’un ensemble Afrique-Méditerranée-Europe devrait être constitué autour de complémentarités diverses. Comment, à votre avis, les fonds souverains pourraient-ils contribuer à un co-investissement plus efficace pour un meilleur codéveloppement ?
Il est évident que le développement économique et la mutualisation des efforts dans ce sens ne peuvent que contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations et maintenir les équilibres régionaux. L’idée que vous évoquez est quelque chose qui peut effectivement avoir du sens si tant est qu’elle tienne compte des spécificités de chaque partie, que le dialogue soit fondé sur le respect mutuel et qu’il soit bénéfique pour l’ensemble des parties prenantes.
Selon nous, il ne faudrait pas limiter le périmètre de collaboration à une zone, mais plutôt l’élargir en fonction des atouts des uns et des autres pour bâtir des partenariats mutuellement bénéfiques. D’ailleurs, ces partenariats peuvent être interafricains à l’image d’ASIF ou encore le projet de gazoduc reliant le Nigeria au royaume. Ils peuvent également être envisagés avec d’autres acteurs internationaux, d’Europe ou d’ailleurs, qui souhaitent renforcer leur participation à l’effort de développement à travers le continent et qui peuvent aujourd’hui trouver en ASIF et ses membres un interlocuteur adapté.
C’est dans cet esprit et afin de contribuer au renforcement du dialogue et de la coopération entre l’Afrique et le reste du monde que nous avons rassemblé lors de la conférence de lancement d’ASIF des fonds souverains à la fois d’Afrique et du Moyen-Orient mais aussi d’Europe, en plus d’investisseurs institutionnels et de banques multilatérales de développement.
Le Maroc, par le fonds Ithmar, est à la tête du conseil d’administration du Forum international des fonds souverains. Quels axes compte-t-il mettre en exergue pour un meilleur impact social et une émergence progressive et durable des économiques africaines ?
L’IFSWF comprend plus de 40 membres représentant différents pays à travers le monde et Ithmar Capital est le premier fonds souverain africain à être porté à sa présidence. Nous ?uvrons au sein de cette instance à promouvoir tout d’abord les meilleures pratiques en termes de gouvernance et de transparence au sein de notre communauté. Nous travaillons également à la promotion des thématiques relatives à l’investissement à impact, et plus particulièrement celles ayant trait à l’économie verte et à la transition énergétique. Ithmar Capital entend ?uvrer durant son mandat à insuffler une nouvelle dynamique et une meilleure intégration des fonds des pays émergents au sein de la communauté internationale des fonds souverains tant ils sont un partenaire stratégique du développement à long terme.
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