L’Alliance atlantique pourra afficher un front uni lors de son sommet rassemblant 30 chefs d’Etats et de gouvernement à Madrid. Et surtout, deux nouveaux Etats vont pouvoir rejoindre l’Otan. Après un mois et demi de tractations, la Turquie a accepté de ne plus s’opposer à l’adhésion de la Suède et de la Finlande. Les deux pays scandinaves avaient manifesté leur intérêt de rejoindre l’organisation politico-militaire après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Seul Ankara se dressait en travers de leur chemin otanien.
«Je suis ravi d’annoncer que nous avons un accord qui ouvre la voie à l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan», a déclaré mardi soir le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg. Les trois délégations et le secrétaire général se sont enfermés pendant plusieurs heures en cette première journée du sommet pour parvenir à lever les obstacles. Ceux-ci touchaient aux «intérêts de sécurité» de la Turquie, pas assez pris en compte à ses yeux. La Suède et la Finlande se voyaient reprocher de ne pas lutter suffisamment vigoureusement contre deux entités honnies d’Erdogan : les Kurdes du PKK et la confrérie des Gülenistes.
Système de défense russe S-400
Dans son communiqué publié au moment de l’annonce, la présidence turque se félicite des «résultats concrets» obtenus, notamment la «totale coopération pour combattre le PKK», «l’engagement de ne pas soutenir le PYD/YPD [les organisations cousines du PKK en Syrie, ndlr] et le Feto [du prédicateur Fethullah Gülen]», «éviter les embargos sur l’industrie de la défense et renforcer les collaborations», etc. Ces engagements mutuels sont contenus dans un mémorandum quadripartite.
Les Etats-Unis ont assuré dans la foulée qu’ils n’avaient pas reçu «de demande particulière de concession» de la part de la Turquie, alors qu’Erdogan avait déclaré avant le sommet que le «sujet le plus important» était à ses yeux la livraison des F-16. Ces avions de chasse ont été commandés mais non livrés par Washington en raison de l’acquisition par la Turquie d’un système de défense aérienne russe S-400. Joe Biden et Recep Tayyip Erdogan doivent se rencontrer ce mercredi matin.
Engagé à faire aboutir les demandes d’adhésion, Jens Stoltenberg a prêché pour Ankara toute la journée de mardi, lors de ses différentes prises de parole. Le secrétaire général a rappelé que l’Union européenne classait le PKK comme une organisation terroriste et que la Turquie avait gravement souffert du terrorisme sur son sol.
L’enjeu pour l’Alliance est autant d’accueillir deux nouveaux membres que de faire la démonstration de sa cohésion inaltérable au moment où la Russie piétine l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale. «Nous porterons un message d’unité au-delà de l’Alliance», a lancé le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, en ouverture du sommet.
Identité profonde
«Pour l’administration Biden, il est très important de montrer l’unité de l’Alliance à Moscou, mais surtout à la Chine», soulignait avant le début du sommet Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du German Marshall Funds à Paris. Et c’est là que les difficultés apparaissent à nouveau. Si le retrait du véto turc était crucial, il était finalement le moins difficile à obtenir tant la pression était forte de la part de l’ensemble des membres et les demandes turques claires, au moins dans leurs grandes lignes.
Il reste deux sujets faisant débat – et fondamentaux –, car ils touchent à l’identité profonde de l’organisation : son articulation avec l’Union européenne et son positionnement vis-à-vis de la Chine. Ils devront être tranchés pour finaliser le «concept stratégique», un document analysant l’état du monde et le rôle de l’Alliance. Le précédent a été produit en 2010.
Pour le sujet le plus urgent, la guerre en Ukraine, un consensus se dégage pour assister Kyiv. Deux invités surprises, les frères Klitschko, dont le maire de la capitale, Vitali, sont venus à Madrid rappeler la nécessité d’accélérer les livraisons d’armes. Vladimir Poutine l’a fait à sa façon : depuis trois jours, son armée multiplie les frappes meurtrières contre des civils.
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