Iran : les « carjacking », ces violents vols de voiture qui montent en flèche avec la crise économique

Les « carjackers », ou voleurs de voiture, sévissent en Iran dans un contexte de crise économique : plusieurs vidéos choquantes prises sur les routes montrent des hommes armés de machettes, de tasers ou d’armes à feu s’en prendre à des automobilistes. Notre Observatrice a été victime d’une tentative de vol de son véhicule.

« Keft giri », c’est le mot en persan que les Iraniens utilisent pour désigner les vols aggravés, comme les agressions. Mais il sert désormais aussi à décrire un autre phénomène, celui des vols ultra-violents de voitures sur les routes iraniennes. Sur les réseaux sociaux, une recherche à partir de ce terme fait apparaître des centaines de vidéos, filmées un peu partout dans le pays.

Les méthodes des malfrats sont variables. Certains tendent une embuscade à leurs victimes et saisissent leur véhicule et leurs objets de valeur par la force. D’autres se font passer pour des piétons et organisent de faux accidents, obligeant le conducteur à s’arrêter. Ces vols se déroulent parfois en plein jour, dans des rues fréquentées.

Une vidéo publiée le 2 juillet 2022 montre un homme sauter sur le pare-brise d’une voiture, puis le briser afin de rentrer dans le véhicule et le voler. La victime crie au secours.

La diffusion sur les réseaux sociaux de dizaines de vidéos témoignant de ces agressions et vols a semé un vent de panique en Iran. Au point que certains internautes se sont mis à diffuser des conseils… pour éviter les vols de voiture.

Cette vidéo publiée le 8 juillet 2021 montre deux hommes attaquer une voiture avec une machette. La scène se déroule vers midi, sur une autoroute entre Téhéran et Qazvin.

« J’ai refusé de m’arrêter et ils se sont mis à brandir des machettes »

Je rentrais du travail en voiture. J’ai pris la même sortie que d’habitude [sur une autoroute au nord de Téhéran, NDLR].

J’ai ralenti pour tourner à droite, puis j’ai vu un homme habillé tout en noir marcher le long de la rembarde de sécurité. Au début, j’ai cru qu’il était perdu. Puis il s’est mis à courir dans ma direction, m’a bloqué le chemin et a brisé mon rétroviseur. J’étais choquée pendant un instant… Puis, je me suis rappelée qu’un de mes amis m’avait dit qu’il lui était arrivé exactement la même chose quelques semaines plus tôt, sur une autre autoroute. C’était un « carjacking ».

Je ne me suis pas arrêtée de conduire. Quand j’ai atteint la route principale, j’ai vu qu’une voiture blanche me suivait, et que l’homme en noir conduisait cette voiture. 

Il y avait trois autres hommes dans le véhicule. Ils criaient : « Arrête-toi ! Arrête-toi ! Tu as renversé ce pauvre homme ! »

Encore aujourd’hui, quand je pense à leurs visages, ça me terrifie. J’ai refusé de m’arrêter et ils se sont mis à brandir des machettes. Je tremblais et je criais pour demander de l’aide, mais personne n’est intervenu. Par je ne sais quel miracle, je me suis souvenue qu’il y avait un poste de police à proximité. Je m’y suis donc précipitée, j’ai arrêté la voiture juste devant et j’ai littéralement sauté dans les bras d’un policier.

« Nous n’avons pas porté plainte, ça ne servait à rien »
Je pensais que c’était terminé, mais ces hommes se sont révélés plus agressifs que je ne le pensais. Ils se sont arrêtés en voiture devant le policier et l’un d’eux m’a dit : « On finira par t’attraper ». Il a fait un geste avec sa machette pour mimer qu’ils m’égorgeraient. Puis, celui qui conduisait a appuyé sur l’accélérateur et ils sont partis.

J’étais en état de choc. La police m’a emmenée à l’intérieur du poste pour me donner de l’eau. Le policier m’a dit que j’avais bien fait de ne pas m’arrêter. Il a également dit qu’ils volaient ainsi des dizaines de personnes chaque jour.

Je leur ai demandé pourquoi la police ne faisait rien à ce sujet, il m’a dit qu’ils avaient déjà beaucoup à faire, et trop peu de policiers disponibles pour patrouiller. Il a précisé qu’il faudrait au moins trois policiers sur chaque sortie d’autoroute – ce qui est impossible. Je suis restée au poste de police jusqu’à ce que mon mari vienne me chercher puis nous sommes rentrés ensemble à la maison. Nous n’avons pas porté plainte, ça ne servait à rien.

« Ils ont l’impression de reprendre leur dû »
Depuis ce jour, je n’emprunte plus l’autoroute. Cela me prend plus d’une heure pour rentrer, mais c’est inenvisageable pour moi de passer par cette sortie à nouveau. Dès que je pense à ces hommes, j’ai la nausée. C’est horrible de penser que chaque jour, il y a un nouvel ami, un collègue, ou un membre de sa famille qui peut être victime de cette violence.

Je pense que ces criminels sont au chômage. Ils n’ont sûrement aucune ressource et doivent être prêts à tout pour obtenir de l’argent. Je pense qu’ils détestent tous ceux qu’ils considèrent comme « riches », comme si n’importe quelle personne avec un peu d’argent les avaient personnellement volé. Ils ont l’impression de reprendre leur dû.

Une vidéo publiée le 8 juillet montre une tentative de vol de voiture. L’homme derrière la caméra dit : « La voiture blanche a été victime d’un faux accident. Le conducteur ne s’est pas arrêté pour éviter d’être volé et, alors que le voleur est sur le capot de sa voiture, il se dirige vers le poste de police. Le voleur le supplie de s’arrêter et de le laisser partir. »

En Iran, aucun chiffre officiel ne permet de mesurer l’ampleur de ces agressions sur les routes et des vols en voiture. Mais dans une rare conférence de presse en juin 2022, Reza Masoudifar, le vice-président des affaires sociales et de la prévention de la criminalité au sein du système judiciaire iranien, a révélé que le nombre total de vols en tout genre – pas seulement les vols et agressions sur les routes – en Iran avait été multiplié par sept depuis 2009, pour atteindre 1,4 million de cas par an.

En janvier 2021, le porte-parole de la police iranienne, le général Mahdi Hajian, avait déjà reconnu une augmentation des vols violents, imputés selon lui à la pauvreté et au chômage, mais pas au travail de la police. Il avait par ailleurs déjà évoqué la diffusion de vidéos d’agressions et vols sur les routes et avait rappelé « l’interdiction » du partage de ces vidéos « selon la loi ».

En Iran, les crimes violents augmentent tandis que le pays traverse une sévère crise économique. La moitié des habitants du pays vit sous le seuil de pauvreté et plus d’un cinquième de la population réside dans des bidonvilles.

Selon une enquête indépendante réalisée en Iran en 2021, plus d’un tiers des Iraniens disent avoir été victimes de vols, et 27 % de ces vols ont été violents. Alors que 70 % des victimes disent avoir été blessées, seules 5 % ont engagé des poursuites judiciaires contre les auteurs.

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