VALDERRAMA À MONTPELLIER : UN TRANSFERT ÉBOURIFFANT

Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. À l’occasion du 21e é

pisode, retour en 1988, année où Montpellier signe un des plus grands noms de son histoire : Carlos Valderrama. Le touffu meneur de jeu du Deportivo Cali est alors au sommet de son art, mais son passage dans l’Hérault divise. Réussite ou flop ? Pierre Mosca et Louis Nicollin s’en sont longtemps crêpé le chignon.

En 1987, l’afro est à la mode. Ruud Gullit remporte le Ballon d’or. Son sosie capillaire Carlos Valderrama s’adjuge lui le Ballon d’or sud-américain et le titre de meilleur joueur de la Copa América. Si le Hollandais en profite pour quitter son pays en passant du PSV Eindhoven à l’AC Milan, le Colombien reste, lui, dans son Deportivo Cali. De toute manière, aucun joueur du pays de Pablo Escobar ne s’est déjà exporté. L’agent Manuel Garcia se dit alors qu’il y a quelque chose à faire avec le talentueux meneur de jeu. Et pourquoi pas à Montpellier où il a ses entrées, puisqu’il gère déjà les intérêts du défenseur Júlio César. Les dirigeants colombiens font donc la rencontre de Louis Nicollin à l’hôtel Concorde-Lafayette (devenu Hôtel Hyatt Regency Paris Étoile). Durant deux jours et deux nuits, les deux parties, chacune dans leur chambre, négocient. Un accord est finalement trouvé : Carlos Valderrama touchera 13 000 000 de francs pour un contrat de quatre ans signé le 6 mai 1988. Un transfert financé par le conseil général pour le club qui vient de disputer une première saison dans l’élite remarquée avec une troisième place au classement. Seuls les champions de 2012 feront mieux dans l’histoire du club.

« Quand on m’a parlé de ce club, j’ai demandé : « Mais où se trouve cette ville ? » Personne en Colombie ne connaissait Montpellier. Moi, mon rêve était de jouer en Europe, et je n’ai pas voulu rater cette opportunité » , avouera plus tard le principal intéressé. À l’époque, Carlos Valderrama est une star du football mondial et l’un des meilleurs joueurs d’Amérique du Sud. Une aubaine pour Montpellier ? D’emblée, l’entraîneur Pierre Mosca n’est pas emballé : « Je n’ai pas trop été tenu au courant de cette affaire. Ma priorité était de prendre un gardien et un attaquant axial, car Roger Milla avait déjà 37 ans. Michel Mézy est allé plusieurs fois au Portugal pour faire signer Rui Águas (alors au Benfica, NDLR).On ne devait pas recruter un milieu de terrain. Pourquoi ? Parce que l’on avait déjà Bernardet, Lemoult, Blanc, Scala, Larrios et Ferhaoui. Où mettre Carlos ? Quand je pose la question, on ne me répond pas. » Cette interrogation va le tourmenter toute la saison.

« Oh Mosca, ce n’est pas Valderrama, c’est son frère ! »
Très vite, le Colombien ne trouve pas son rythme sur les pelouses hexagonales. « Là-bas, toute l’équipe tournait autour de lui, rapporte Pierre Mosca. La saison d’avant, on finit troisièmes grâce à un jeu offensif plein d’engagement et de détermination que Carlos n’avait pas. Il cassait le rythme ! Quand il récupérait le ballon, le défenseur adverse était virulent et, surtout, la défense adverse se regroupait très vite, car la transition n’était pas assez rapide. Je lui ai fait confiance, mais je me faisais un peu rabrouer par certains supporters qui me disaient « Oh Mosca, ce n’est pas Valderrama, c’est son frère ! » C’était un peu désobligeant pour Carlos. » Vingt ans plus tard, Loulou Nicollin s’énervait encore concernant les critiques sur sa perle colombienne : « Sa première année ne se passe pas très bien, parce que l’entraîneur, Pierre Mosca, ne l’avait pas du tout dans ses plans ! Il le trouvait lent, il le trouvait si… Enfin, il avait tous les péchés du monde ! » « En fait, Mosca en voulait à Nicollin de m’avoir fait signer sans le prévenir et il m’a fait payer cela, alors que ce n’était pas de ma faute » , théorise, lui, le chevelu milieu de terrain.

À l’époque, pour faire connaître son Montpellier Paillade Sport Club, le Lyonnais d’origine n’hésite pas à sortir le chéquier pour recruter des noms. « Carlos est arrivé avec une connotation préférentielle de la part du président, et il a fallu que je l’intègre rapidement, car c’était une valeur marchande et un investissement important » , avoue le technicien gardois. Mais ce dernier n’a que faire des volontés de son président. Il en rigole aujourd’hui : « Je me souviens, contre Metz, c’est la première fois que je le sors de la compo. Colère folle de Loulou qui me convoque dans son bureau ! « Comment, tu ne fais pas jouer Carlos ? » Il s’est engagé devant du monde : « Si tu ne fais pas jouer Carlos, je te vire. » Ok, tu me vires, mais personne ne me dit qui je dois faire jouer, c’est moi l’entraîneur. J’ai tenu tête. Ce jour-là, contre le bon Metz, pas celui de maintenant, on a gagné 4-0. »

Machine à laver, piscine et permis de conduire
Si tout ne tourne pas rond ballon au pied pour le joueur originaire de Santa Marta, ce n’est guère mieux une fois les crampons enlevés : « Les copains du vestiaire ont fait le maximum pour bien l’accueillir et le mettre en confiance, mais lui, il a eu du mal dans sa vie privée à s’adapter à la vie française. » Plusieurs anecdotes sont sorties des vestiaires du stade de la Mosson et sont répandues place de la Comédie.

« Jean-Louis Gasset qui était proche de Carlos m’a raconté qu’il remplissait lui-même sa machine à laver d’eau, pensant qu’elle ne le faisait pas automatiquement. Il vidait aussi sa piscine après chaque utilisation » , témoigne Gérard Bernardet. Mais celui qui en parle le mieux reste le principal concerné, dans les colonnes d’Actu Foot. « Ma femme n’avait jamais vu de sa vie une machine à laver, justifie-t-il. Nous habitions à proximité du stade à Saint-Georges d’Orques, et heureusement, il y avait des gens là-bas pouvant nous aider comme Jean-Louis Gasset. J’ai dû aussi apprendre à conduire et passer mon permis en faisant des exercices de conduite sur le parking du stade de la Mosson ! La première voiture que j’ai eue m’a causé quelques soucis, car c’était un modèle qui parlait dès qu’il y avait un problème, et je ne comprenais absolument rien, puisque c’était en français. Une fois c’était parce que je n’avais pas la ceinture ou alors quand la portière était mal fermée. Le concessionnaire m’a vu débarquer confus quelques fois. »

C’est pas Gijón, c’est Valladolid
En trois ans, toutes compétitions confondues, Carlos Valderrama disputera 91 rencontres pour quatre petits pions et laisse, plus de trente ans après, toujours ouvert le débat sur ses performances. À l’été 1991, le Colombien plie bagage et traverse les Pyrénées pour se faire tripoter par Michel. Ce qui ne fait que conforter l’ancien Monégasque dans ses propos.

« Ils l’ont transféré en Espagne. Mais il n’est pas allé à Madrid, à Barcelone, à Séville ou à Valence. Il est allé à Valladolid. »
Pierre Mosca, entraîneur de Montpellier

« Je l’ai su par la suite, un agent de joueur (Manuel Garcia donc) a sollicité les dirigeants, car il n’a pas pu le placer ailleurs. On parlait du Real Madrid, de Barcelone, mais il s’est tourné vers Montpellier, car personne ne le voulait… Ensuite, ils l’ont transféré en Espagne. Mais il n’est pas allé à Madrid, à Barcelone, à Séville ou à Valence. Il est allé à Valladolid qui venait de monter de deuxième division ! Il n’y a pas que moi qui avais jugé qu’il était inapte au football européen. D’ailleurs, il ne s’est relancé qu’en rentrant en Colombie ! » Si, sur le terrain, le meneur de jeu divise toujours, en dehors il a toujours fait l’unanimité.

Pierre Mosca : « C’est un type charmant, un gentil garçon. Ça m’a fait mal au cœur, j’ai mal vécu cette situation. Quand c’est un petit con, bon, mais Carlos humainement est formidable, et ça m’a vraiment travaillé ! On s’est revus au mas des Nicollin, il m’a fait la bise, il ne m’en veut pas. Il avait bien compris la situation. » Louis Nicollin : « C’est un garçon adorable à tout point de vue, chaque année je reçois ses vœux, et je trouve ça assez exceptionnel de la part d’un joueur qui se trouve de l’autre côté de l’Atlantique. J’en garde un souvenir extraordinaire. » Trente et un ans après le départ de Carlos Valderrama, une question subsiste : en cas de titre de champion de France, Loulou aurait-il fait une coupe afro en orange et bleu ?

sofoot

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