Port du masque : pourquoi miser sur la responsabilité des Français est une mauvaise stratégie

Depuis le 16 mai 2022, le gouvernement a levé l’obligation du port du masque, hormis dans les établissements de santé. Face à l’augmentation de l’incidence des cas de Covid-19, ce dernier appelle de nouveau à la responsabilité des Français. Voyons pourquoi c’est, probablement, une mauvaise stratégie. 

« J’appelle chacun à la vigilance… mais non, nous n’avons pas l’intention d’avoir une mesure nationale d’obligation. Je pense que les Français connaissent aujourd’hui les bons gestes. » Ces mots sont ceux de la Première ministre Élisabeth Borne, prononcés le 6 juillet 2022 sur TF1 à propos du port du masque. À Nice, le port du masque obligatoire a fait un bref retour dans les transports avant d’être suspendu par la justice. D’un point de vue économique, en refusant de rendre obligatoire le port du masque, le gouvernement renonce à financer un bien public primordial en cette période pandémique : un air plus ou moins dépourvu de particules virales.

Dans son article phare de 1954, l’économiste Paul Samuelson définit les biens publics de la façon suivante « les biens publics sont des biens dont la consommation individuelle ne conduit pas l’impossibilité pour un autre individu d’en profiter ». Même si d’autres théoriciens ont affiné le modèle de Samuelson, il reste largement opérationnel pour réfléchir à la question qui nous occupe aujourd’hui. Un air dépourvu de particules virales en tous genres peut être considéré comme un bien public. Si vous respirez un air sans particules virales dans un cinéma, cela n’empêche pas votre voisin de le respirer. On dit alors que ce bien est non rival (les individus ne sont pas en compétition pour profiter de ce bien) et non exclusif (on ne peut pas restreindre l’accès à ce bien). Mais pour cela, il faut que la majorité des gens financent ce bien public, autrement dit, qu’il porte un masque. Et c’est ici que les choses se compliquent. 

Le port du masque, un sujet encore d'actualité. © AntonioDiaz, Adobe Stock

Le problème des passagers clandestins

C’est un problème classique en économie comportementale qui s’intéresse aux comportements des acteurs censés financer un bien public. Des données expérimentales montrent que, lors d’un tel financement, les individus peuvent appartenir à quatre catégories distinctes :

  • les coopérateurs inconditionnels qui porteront le masque quoi qu’il arrive ;
  • les coopérateurs conditionnels parfaits qui seront enclins à porter le masque, plus la proportion des gens qui le portent sera importante ;
  • les passagers clandestins qui ne portent pas le masque mais profitent de l’investissement des autres pour respirer un air dépourvu de particules virales ;
  • les coopérateurs conditionnels imparfaits qui manifestent un comportement de coopération conditionnel jusqu’à un certain seuil mais qui se transforment en passager clandestin à mesure que le nombre de personnes adhérant au port du masque augmente. 

Les coopérateurs inconditionnels sont peu nombreux et des motivations bien spécifiques (altruisme, effet warm-glow, etc.) sont à l’origine de leurs actions. À l’inverse, les coopérateurs conditionnels parfaits sont nombreux (50 % des individus selon les études), suivis de près par les passagers clandestins (33 % selon les études) et les coopérateurs conditionnels imparfaits (14 % selon les études). Vous êtes maintenant en mesure de comprendre le cercle vicieux qui se met en place lorsqu’il est question de financer un bien public : les coopérateurs conditionnels ne souhaitent pas coopérer s’il y a trop de passagers clandestins. Et plus la situation se répète, plus le nombre de coopérateurs conditionnels diminue et plus celui des passagers clandestins augmente, ce qui conduit à une absence de financement du bien public. 

En appeler à la responsabilité individuelle des Français pour le financement d’un bien public est un double fardeau et une méconnaissance des sciences du comportement. D’un côté, cela peut accentuer la scission entre les citoyens dans une période hautement sous tension et de l’autre, c’est faire peser sur les individus une pression qui relève en réalité de l’action de l’État.

Nous sommes, pour la plupart, des coopérateurs conditionnels et avons besoin de motivations pour adopter des comportements. Rendre obligatoire le port du masque respecte un principe de tort minimal (voir la vidéo ci-dessous), ce qui rend cette mesure totalement légitime pour restreindre la liberté des individus. En considérant que l’État a pour devoir de protéger sa population en finançant l’accès à des biens publics qui échappe à la régulation du marché (en assurant l’accès aux soins ou à la justice typiquement) et de finances, on peut aboutir à la conclusion qu’en refusant d’intégrer à nouveau cette mesure dans la loi en sachant que l’appel à la responsabilité ne fonctionne pas, le gouvernement faillit probablement à son devoir envers les Français, notamment les plus fragiles.

Ce principe sur lequel tout le monde s’entend.

FUTURA

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