José Eduardo dos Santos est bien décédé d’une mort naturelle le vendredi 8 juillet dernier dans une clinique de Barcelone, en Espagne, où il était en exil depuis 2019, soit deux ans après son départ du pouvoir après 38 ans de règne sans partage. Une autopsie, réalisée durant le week-end, avait été demandée par Tchizé dos Santos, l’une des filles de l’ex-président angolais, qui jugeait le décès de son père « suspicieux ». Jusqu’au bout donc, cet ancien marxiste considéré comme un héros national avant de virer autocrate aura été au c?ur des luttes d’influence pour occuper le devant de la scène politique angolaise.
Pourtant avec sa disparition, c’est une page de l’histoire de l’Angola qui se tourne. Mais quel sera l’avenir, alors que le pays très dépendant du pétrole traverse une grave crise économique et que le pouvoir déjà extrêmement centralisé sous la direction du tout-puissant Mouvement pour la libération de l’Angola (MLPA) pourrait encore perdurer lors des prochaines élections d’août. Selon Daniel Ribant, ancien conseiller en diplomatie économique auprès de l’ambassade de Belgique à Luanda et spécialiste de ce pays méconnu, retient la paix et la corruption comme héritage.
Le Point Afrique : Avec la mort de José Eduardo dos Santos, une page de l’histoire de l’Angola se tourne, que peut-on retenir de lui ?
Daniel Ribant : Ce que l’histoire retiendra du long règne de dos Santos (38 ans), ce sont deux aspects majeurs. Il aura été l’ « architecte » de la paix en Angola et jusqu’à un certain point de la réconciliation nationale, mais aussi le président d’un des régimes les plus corrompus d’Afrique. Il a mis en place un système de clientélisme très sophistiqué. Au début, son objectif était de récompenser tous ceux qui avaient gagné la guerre, dont les nombreux généraux. C’était aussi une manière de les tenir éloignés du pouvoir politique. Une des clés de la remarquable stabilité du pays, c’est sans doute ce système de parrainage qui pèsera sur le développement du pays. Quand la paix est signée en 2002, après 27 ans de guerre civile, cela a été un véritable soulagement pour la population et les anciennes générations en savent gré au président défunt et s’en souviennent encore.
Et pourtant, il fut le dirigeant autoritaire d’un pays riche en or noir pendant 38 ans, comment cela a-t-il été possible ?
À partir des années 1990, notamment après les échecs du modèle collectiviste, l’Angola s’ouvre progressivement à l’économie de marché. Les proches du régime vont s’enrichir honteusement par le biais des importations qui ne cesseront d’augmenter une fois la paix revenue. Et naturellement, cette économie d’importation est financée par les fabuleux revenus pétroliers. Pourquoi changer un modèle gagnant, d’autant qu’à partir de 2004 les clés du développement du pays sont confiées à la Chine. Et les mégaprojets seront de plus en plus « gérés » par l’entourage direct de José dos Santos, notamment l’ancien vice-président Manuel Domingos Vicente et les généraux Kopelipa et Dino. Le régime va se concentrer davantage sur ce cercle plus restreint. C’était une sorte de mini-gouvernement au sein du pouvoir.
Je pense que les élections de 2017 doivent être analysées également sous ce prisme. Dos Santos s’est progressivement éloigné de ses « camarades » du parti, le Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA), et certains ont commencé à avoir des griefs contre lui. Il y avait de plus en plus de remontées du mécontentement de la population. Beaucoup pressentaient que le parti ? et donc son président ? allait perdre les élections. Même un remplacement par son fils José Filomeno, un temps envisagé, a été écarté. L’annonce de son retrait s’est faite dans ce contexte, sous la pression du parti, qui a souhaité nommer un nouveau candidat qui représentait à la fois la continuité de l’idéologie du MPLA et sa façon de traiter les affaires politiques, mais au-delà qui représentait aussi un changement à « vendre » à la population. Selon moi, ça a très bien marché les deux premières années avec la politique anticorruption menée par João Lourenço, et puis ça s’est un peu essoufflé. Cette politique anticorruption a connu un coup d’arrêt à cause du Covid-19, mais aussi parce que le président n’a pas eu les succès économiques espérés, et il a dû se rapprocher à nouveau des grands caciques du MPLA, sous peine de voir ceux-ci se retourner contre son pouvoir. Lourenço ne pouvait pas lutter contre tout le monde en même temps.
L’autre trait marquant de la gouvernance de dos Santos, c’est l’influence de sa famille, du clan, et pourtant, aujourd’hui ses enfants sont sous le coup de la justice angolaise?
Dos Santos avait deux préoccupations majeures avant de quitter le pouvoir. La première était la stabilité du pays, et je pense qu’à ce niveau il a parfaitement réussi. La seconde était la protection de sa famille et son immunité. Avant son départ, il pensait qu’en nommant des fidèles à des postes clés, cela suffisait à cadenasser le système qu’il avait mis en place et constituait une garantie pour l’avenir du pays. Dos Santos ne pensait pas que João Lourenço aurait la capacité d’y toucher. Or, dès son arrivée, l’actuel président a fait sauter ces garde-fous les uns après les autres et s’est attaqué directement à la famille de dos Santos, sans toucher à son prédécesseur. Dos Santos a fait un mauvais calcul dans la mesure où il n’a pas compris ou anticipé les décisions de Lourenço. Ce dernier a caché quelque part son jeu en gardant un sentiment de revanche à l’encontre de l’ancien président. Un sentiment longuement mûri. Certains observateurs, principalement en Angola, comprennent assez mal cet acharnement de João Lourenço envers la famille dos Santos. Je suis en désaccord avec cette interprétation. Aurait-on compris qu’on en fasse moins à partir du moment où l’ancien président et sa famille sont l’épicentre du système de corruption ?
Comment expliquez-vous le silence de la communauté internationale par rapport à ce pays et ce clan qui a accaparé le pouvoir 38 ans durant?
C’est assez étonnant parce que la communauté internationale n’a jamais pris de mesures à l’encontre de la famille dos Santos. Pourtant, bien avant les révélations des « Luanda Leaks », on connaissait les « particularités » du système. Par exemple Isabel, sa fille aînée, a pu sans aucun problème acheter des entreprises au Portugal, s’installer à Londres dans une superbe villa ou encore s’offrir un célèbre joaillier genevois qu’elle pourvoyait en diamants bruts tirés des mines angolaises (etc.). La famille au sens large avec les différentes épouses et les enfants a bénéficié de ce système.
Il ne faut pas oublier que l’Angola s’est très tôt tourné vers la Chine, à partir du moment où à la fin de la guerre, les Occidentaux n’ont pas accepté de soutenir le régime sur le plan économique et imposaient des conditions très dures de reprise des relations. Dos Santos s’est donc tourné vers la Chine et il faut reconnaître que c’était bien joué. Les entreprises chinoises ont réalisé un travail important de reconstruction que les sociétés occidentales n’auraient sans doute pas pu exécuter en si peu de temps. Mais la qualité n’était pas au rendez-vous. Qu’importe ! Il fallait alimenter l’illusion d’un développement de l’économie, financé par les ressources pétrolières.
La stabilité du pays est également un facteur explicatif. L’Angola occupe une situation stratégique importante. Par rapport, à la RDC bien évidemment. N’oublions pas que dans les années 90, l’armée angolaise est intervenue dans ce grand pays d’Afrique subsaharienne et qu’elle n’hésiterait pas à le faire encore si sa sécurité était menacée. À cela s’ajoute une autre raison dont à mon sens on ne parle pas suffisamment. C’est le rôle que peut jouer l’Angola contre l’islamisme radical. C’est une réelle préoccupation des stratèges de Luanda. N’oublions pas que la RDC a une frontière avec une autre partie de l’Afrique qui pourrait basculer dans l’islamisme.
Je crois qu’il y a eu une conjonction de tous ces facteurs. À la fois on ne voulait pas collaborer trop ouvertement avec le régime de dos Santos, mais en même temps on trouvait toujours des arguments pour le faire parce que c’était un pays hyperintéressant qui importait énormément et qu’il était difficile de l’éviter. Mais tout ceci a changé naturellement avec l’arrivée du président Lourenço et d’ailleurs il est très symptomatique de constater la rapidité avec laquelle la communauté internationale a collaboré avec le nouvel exécutif, en lui donnant très rapidement des gages de bonne conduite.
Le monde occidental avait envie de se rapprocher de l’Angola. Il suffit de constater la forte présence des institutions comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la SFI, tous sont à Luanda. Et c’est assez curieux de constater que l’image de João Lourenço sur le plan de la lutte contre la corruption est très favorable en Europe, aux États-Unis, et beaucoup moins dans son propre pays, en Angola. Parce que là encore si vous lisez la presse angolaise, elle est très critique par rapport à certaines attitudes de Lourenço.
En Afrique subsaharienne, quelle image laisse l’ex-président ?
C’était un homme respecté et qui avait une connaissance très pointue des personnes et des situations. Les Affaires étrangères, c’était en quelque sorte son « domaine réservé ». Il voyageait peu, mais était beaucoup consulté. N’oublions pas qu’il s’occupait déjà des Affaires internationales pour le MPLA en lutte. Il était consulté comme un « vieux sage », ce qui est important dans la tradition africaine. Le président Lourenço, dans un style différent, marque une continuité à ce niveau. Il est très impliqué dans le règlement des conflits régionaux. Mais dans un autre style.
Le décès de dos Santos aura-t-il une influence sur l’issue des prochaines élections du 24 août ?
Tout dépend de la manière dont cet événement sera exploité. Faisons confiance au régime actuel pour lui donner juste mesure. Célébrer le rôle pacificateur de JEDS comme deuxième président de l’Angola pour satisfaire les nostalgiques, sans mettre l’accent sur l’encombrant héritage pour le MPLA. Au-delà de cette mort très médiatisée par l’entourage familial qui nous fait penser à une sorte de « Dallas angolais », la population angolaise a bien d’autres préoccupations.
LEPOINT