« Il existe des limites intrinsèques aux techniques d’IA actuelles »

Maître de conférences à Télécom Paris au laboratoire Traitement et communication de l’information, Jean-Louis Dessalles se passionne pour une approche scientifique de l’intelligence artificielle, en observant un certain recul sur les méthodes statistiques actuellement en vogue.

Pourquoi l’intelligence artificielle n’arrive pas à être à la hauteur des fantasmes ? Auteur de « Des intelligences très artificielles » en 2019 (Odile Jacob), Jean-Louis Dessalles n’est ni exagérément enthousiaste ni un sceptique forcené de l’IA. Il remet simplement en cause les approches techniques adoptées, ou plutôt leur manque de variété. Car si la puissance des réseaux de neurones, le « deep learning », a produit des résultats époustouflants, elle a généré un engouement un peu trop généralisé. Aujourd’hui, « deep learning » est quasiment devenu, à tort, synonyme d’intelligence artificielle. Avec le risque de buter sur des impasses. En complément du numéro d’été de Sciences et Avenir et de son dossier « Pourquoi ? », où le sujet était abordé, Jean-Louis Dessalles développe ici son propos.

Sciences et Avenir : Vous faites partie de ces spécialistes de l’informatique qui relativisent les pouvoirs de l’intelligence artificielle et les exagérations sur le sujet. De quelles exagérations parle-t-on ?

Jean-Louis Dessalles : Il plane cette idée que tout est apprenable, à coup de données, de statistiques et de fonction d’erreur. Rien de péjoratif dans mes propos : des trésors d’ingéniosité sont déployés pour faire des réseaux de neurones. J’ai suivi tous ces développements, même sans y croire au départ. Or je n’avais pas compris qu’après une montée en puissance quantitative, qu’avec l’usage des GPU, on passerait un seuil qui permettrait de traiter des données brutes. Mais de là à extrapoler sur la prise de pouvoir des machines et la fin de l’humanité…

Vous ne croyez pas en une IA forte, omnipotente ?

Ce n’est en tout cas pas pour demain. On a beaucoup dit que l’intelligence artificielle allait supprimer un tas de métiers. C’est une énorme erreur : elle supprime des tâches, pas des métiers. En 2019, IBM a présenté Debater : une vidéo montrait un système capable de mener un débat d’expert. Il parvenait à argumenter pendant 19 min et 30 secondes et à la fin, il a dit : « J’ai terminé. Maintenant mon contradicteur va vous dire ceci, ceci et cela, ne l’écoutez pas ». Et le débateur humain a effectivement présenté les arguments prédits par la machine ! Cela m’a bluffé, j’ai pensé qu’ils avaient réussi le test de Turing.

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