Trous noirs « zombies » : d’étranges sursauts radio observés chez des trous noirs en sommeil

Astronomes et astrophysiciens s’interrogent actuellement sur un comportement observé chez plusieurs trous noirs supermassifs : ces derniers ont été surpris en train d’émettre des jets de matière des semaines, voire des mois après s’être nourris d’une étoile.

Des trous noirs « zombies »
Une vue d’artiste d’une perturbation par effet de marée, ou spaghettisation d’une étoile par un trou noir supermassif.

Qu’arrive t-il a une étoile qui s’approche trop près d’un trou noir affamé ? Elle finit « spaghettisée », autrement dit étirée au point de former de grands lambeaux de plasma de la forme des célèbres pâtes italiennes. Cette « spaghettisation » porte le nom plus scientifique d’évènement de rupture par effet de marée (TDE) et compte parmi les processus les plus violents du cosmos.

Due à la puissante attraction gravitationnelle d’un trou noir, elle libère une brillante lumière avant que les débris de l’étoile désintégrée ne disparaissent au-delà de l’horizon des événements de l’objet. Ce lumineux festin peut se poursuivre durant plusieurs mois avant que le trou noir ne replonge dans un paisible état d’hibernation. Mais il arrive que cet état de sommeil ne soit pas si paisible que cela.

Des « rots » de trous noirs éloignés de leur digestion
Plusieurs observations ont révélé que les trous noirs pouvaient se réveiller et éructer de la matière et de l’énergie, envoyant des rafales d’ondes radio vers la Terre des mois, voire des années après le TDE initial. « Ce qui est incroyablement inhabituel dans [ces événements], c’est que ces objets sont revenus à la vie, comme des zombies », explique Enrico Ramirez-Ruiz, astrophysicien à l’Université de Californie, à Santa Cruz, cité par Science. « Cela remet vraiment en question le paradigme. »

Jusqu’à il y a peu, toutes les éjections recensées dans le cadre des quelques dizaines de TDE connus, détectées à partir de la lumière optique ou des rayons X émis par le jet de matière du trou noir, s’étaient déroulées très peu de temps après que le trou noir eut déchiqueté son repas. Mais avec le développement des observations dans le domaine des ondes radio, des comportements jusqu’ici inconnus chez les trous noirs ont pu être observés.

En février 2021, Assaf Horesh, astrophysicien à l’Université hébraïque de Jérusalem, a découvert un sursaut radio six mois après le TDE initial. Le 30 juin de la même année, l’histoire s’est répétée : Yvette Cendes, astronome au Centre d’astrophysique de Harvard et du Smithsonian Center, a signalé la découverte d’une autre éruption à retardement. À l’aide de plusieurs télescopes, elle et son équipe ont déterminé que le pic rapide d’activité radio était survenu plus de deux ans après le repas du trou noir ! Les scientifiques en furent pour le moins déroutés.

Un disque au juste milieu
Voici aujourd’hui qu’un troisième exemple vient s’ajouter à cette liste : en réanalysant un TDE précédemment repéré, Itai Sfaradi, un étudiant d’Assaf Horesh, affirme avoir enregistré des émissions radio retardées en combinaison avec une éruption de rayons X. Ces émissions en tandem sont parfois observées dans ce que l’on appelle les binaires à rayons X – où des trous noirs de la taille d’une étoile aspirent le gaz d’une étoile jumelée -, laissant penser que les mécanismes pourraient être liés. Ses travaux font l’objet d’une publication dans l’Astrophysical Journal daté du 10 juillet 2022.

Une hypothèse est actuellement émise par les chercheurs pour expliquer ces éruptions tardives : les déplacements du disque d’accrétion du trou noir alimentant les flambées des binaires à rayons X, la même chose pourrait se produire avec les trous noirs supermassifs des mois après leur repas. Le gaz d’une étoile déchirée s’accumulerait lentement au fil du temps, permettant au disque d’accrétion de se refroidir et de s’affiner. Ce dernier, « affaibli », laisserait alors passer des projections de matière dans l’espace qui, en s’écrasant sur le gaz environnant, produirait les fameux sursauts radio. En somme, le disque d’accrétion serait encore suffisamment dense pour alimenter les jets, mais quelque peu trop chétif pour réabsorber les ondes radio générées.

Pour confirmer ce scénario, des études radio à grande échelle seront nécessaires. Selon Enrico Ramirez-Ruiz, toujours interrogé par Science, la découverte d’une population plus importante de ces TDE « zombies » permettraient plus largement d’étudier le comportement des trous noirs dans un large éventail de conditions. « La gastronomie des trous noirs offre vraiment un nouveau terrain de jeu », conclue-t-il.

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