C’est la première fois qu’un lien est établi entre la douleur et le rythme circadien, cette horloge interne réglée sur 24h. Notre perception de la douleur est ainsi minimale vers 15h et maximale aux alentours de 3h.
Notre perception de la douleur fluctue en fonction du moment de la journée, concluent de nouveaux travaux publiés dans Brain. Elle atteint ainsi son minimum en milieu d’après-midi, et son maximum au cœur de la nuit, sous l’influence combinée du rythme circadien (horloge interne sur 24 heures) et du sommeil. C’est la première fois qu’un lien est démontré entre cette horloge interne et la douleur.
“Les travailleurs de nuit ressentent beaucoup plus la douleur par rapport à leurs collègues qui travaillent de jour, on le sait”, affirme Claude Gronfier, chronobiologiste et neurobiologiste ayant co-dirigé ces nouveaux travaux. L’intensité perçue de la douleur face à un même stimulus est en effet très loin d’être constante au cours d’une même journée, d’après ces nouveaux résultats. Elle varie au contraire avec la qualité du sommeil et le rythme circadien, cette horloge interne régulant notre organisme sur un cycle d’environ 24 heures.
“La plupart des grandes fonctions de l’organisme sont sous le contrôle de l’horloge biologique”, révèle le scientifique, comme le sommeil ou le stress. Deux paramètres auxquels la douleur est notoirement liée. Lorsque le projet d’étudier le rapport entre rythme circadien et douleur se dessine, il s’attend donc à ce que le sommeil ait un impact fort sur la douleur. Mais ce n’est pas tout à fait ce que les chercheurs ont observé.
Un minimum de ressenti de la douleur vers 15h, un maximum vers 3h
Enfermés 34 heures dans des pièces sans fenêtre et avec des repas à rythme constant pour éviter toute influence extérieure et n’observer que les effets du rythme interne, 12 volontaires sains ont été maintenus éveillés. Toutes les deux heures, leurs avant-bras ont été exposés à une source de chaleur à 42, 44 ou 46°C. Les participants devaient alors signaler le moment où le stimulus devenait douloureux, et à quelle intensité notée de 1 à 10. Une méthode basée sur le ressenti de la douleur, donc, puisqu’aucune combinaison de mesures physiologiques ne permet aujourd’hui de l’estimer précisément et quantitativement. “Au final, seul le ressenti compte”, balaie Claude Gronfier.
Avec le reste de l’équipe, il observe que la douleur fluctue de façon homogène chez les participants au fil de la journée, avec un minimum de douleur ressentie en milieu d’après-midi vers 15h à 16h et un maximum à une heure avancée, vers 3h à 4h du matin. Pour le scientifique, il est possible que ce cycle soit un mécanisme de défense. En augmentant la sensibilité à la douleur pendant le sommeil, l’organisme pourrait réagir plus vite à un danger potentiel alors que nous sommes particulièrement vulnérables.
80% des variations liées à l’horloge interne et 20% au sommeil
Ces variations sont liées à plusieurs mécanismes physiologiques. Comme les chercheurs l’avaient anticipé, la douleur augmente bel et bien à mesure que la nuit avance et que la fatigue se fait ressentir… Mais cette pression de sommeil ne compte que pour 20% de la variation observée ! Les 80% restants sont dus au rythme circadien interne de l’organisme, une variation sinusoïdale liée aux successions de lumière et d’obscurité. “Le sommeil est un antalgique connu, dont on sait que le manque augmente la douleur. Je pensais donc que le sommeil aurait une influence plus importante”, avoue Claude Gronfier.
Cela étant, l’enchaînement de nuits de qualité insuffisante peut augmenter ce ratio. “Chez nos sujets sains, une bonne nuit leur permettra de récupérer assez vite. Mais chez d’autres personnes, une dette de sommeil qui s’accumule peut peser sur l’intensité de la douleur au-delà des 20%, et même surpasser l’effet du rythme circadien”, avance le chronobiologiste. Un vrai cercle vicieux, alors que la douleur nuit au sommeil, qui lui-même augmente la perception de la douleur.
Soigner la douleur par la chronobiologie et la qualité du sommeil
Mais il est possible de prendre le problème à l’envers. Puisque le sommeil comme la bonne synchronisation du rythme circadien influent sur l’intensité de la douleur, alors la douleur pourrait potentiellement être soulagée en jouant sur ces deux paramètres. “Pour toutes les personnes douloureuses, une exploration du rythme circadien ou un trouble du sommeil pourrait aider à expliquer leurs symptômes, et peut être les traiter à l’aide de la chronobiologie ou d’un traitement du sommeil en cas de dette”, anticipe Claude Gronfier.
C’est précisément un des futurs projets de l’équipe, appliqué à des patients atteints de migraines, qui se traitent difficilement. “Il se pourrait qu’un système circadien désynchronisé soit impliqué dans la régulation de la douleur chez le migraineux”, explique-t-il. Or, il est possible de décaler cette horloge interne par des approches chronobiologiques – par exemple, par l’exposition à la lumière. “La question que devront poser les médecins dans le futur ce n’est plus ‘où avez-vous mal’, mais ‘comment et quand dormez-vous ?’”, conclut-il.
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