Décarbonation de l’industrie : entre volontarisme et complexité (1/4)

Green manufacturing factory industry with ecological power resource supply outline concept. Energy production from organic, clean and emissions free alternatives vector illustration. Solar panel house

Avec les aides financières de l’État et un contexte d’approvisionnement énergétique tendu, les industriels sont plus que jamais convaincus que la décarbonation est une nécessité. Les solutions se dessinent, au cas par cas.

Fortement encouragée depuis deux ans dans le cadre du plan de relance post-covid, la décarbonation de l’industrie est devenue une priorité assumée par l’État et par les industriels. Les nombreux projets sortis des tiroirs grâce à l’arrivée massive de financements sont en train de voir le jour. Et la crise énergétique qui fait craindre une pénurie de gaz l’hiver prochain n’est pas sans convaincre les plus réticents.

« Depuis quelques mois, nos clients industriels veulent sécuriser au maximum leur approvisionnement. Avec le plan de relance, on voit pas mal de sujets émerger et une très bonne dynamique. Il faut dire que les soutiens sont très porteurs », constate David Campredon, responsable travaux chez Dalkia en région Méditerranée. « On sent que c’est clairement un enjeu extrêmement fort, un sujet dynamique, en ébullition, et beaucoup de volonté se manifeste, renchérit Olivier Tekoutcheff, directeur de marché industrie chez GreenFlex. Avec la hausse du coût des énergies, beaucoup d’industriels se tournent vers nous, car leur productivité est trop impactée. »
« Le système d’échange de quotas carbone est aussi une pression significative pour les industriels. On a clairement senti une évolution chez nos clients depuis deux ans », témoignait, pour sa part, Sébastien Caillat, expert chez Fives Stein, groupe d’ingénierie industrielle, lors d’un webinaire organisé par l’association Allice sur le sujet.

Les options technologiques s’affinent

Efficacité énergétique, énergies renouvelables, substitution du gaz par d’autres combustibles… Les options sont multiples et adaptées à chaque site et à chaque secteur d’activité. Et les études visant à caractériser le potentiel de telle ou telle option se multiplient. L’association Allice vient d’ailleurs d’en publier deux nouvelles : une consacrée à l’électrification des procédés, l’autre au potentiel d’intégration des gaz décarbonés.

Selon Jacques Arbeille, du cabinet Enea Consulting, l’un des auteurs de l’étude présentée en juin à l’occasion d’un webinaire public, « il est pertinent aujourd’hui d’envisager l’électrification, surtout sur certains procédés thermiques qui pèsent 69 % des consommations industrielles (soit 258 TWh) ». En étudiant sept technologies d’électrification et en se concentrant sur quatre usages thermiques (fours, chauffage des fluides, sécheurs, distillation), tout en croisant avec un taux potentiel d’adoption de ces technologies selon les conditions économiques, l’étude estime que 69 TWh sont électrifiables (en plus de 18 TWh déjà électrifiés), ce qui représenterait une économie de 46 TWh pour toute l’industrie et 12 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les promoteurs de ces solutions constatent, eux aussi, l’engouement. « On a davantage de demandes. Avant c’était exceptionnel, avec une par mois. Maintenant, c’est trois à quatre fois plus, et ces demandes évoluent vers des projets incluant la récupération de l’énergie thermique », témoigne, Pierre Pitaud, P-DG d’ID Partner, un fournisseur de solutions à induction pour l’industrie du génie des procédés, la cosmétique, la chimie ou encore l’agroalimentaire. Mais attention, l’électrification n’est pas la voie royale et peut aussi s’apprivoiser à petites doses. « À chaque projet industriel, il faut apporter une réponse spécifique. Ce n’est pas sur catalogue », explique Jean-Pierre Cleirec, P-DG d’Energy Pool, développeur de solutions d’optimisation énergétique.

L’électrification peut ainsi venir s’hybrider à un système au gaz avec une dose de flexibilité, comme ce que prévoit Ugitech dans l’une de ses aciéries avec le groupe d’ingénierie John Cockerill et Energy Pool. « Sur les fours à gaz, on transforme le système de chauffe pour l’hybrider avec des épingles chauffantes électriques (11 MW) pour un budget de 6 millions d’euros et 7 000 tonnes de CO2 évitées par an », détaille le spécialiste. Avec l’électrification, le potentiel de l’effacement électrique entre également dans l’équation, et peut être une source de financement non négligeable pour rentabiliser le projet.

Une conversion pas si simple

Côté gaz vert, l’association Allice conclut de son étude que « tous les gaz auront une place à jouer, avec un biométhane prépondérant ». Notamment car il peut s’injecter facilement dans le réseau avec les mêmes caractéristiques que le gaz naturel. Il ne soulève donc pas d’enjeu technique du côté des utilisateurs, qui peuvent continuer à acheter leur gaz sur le réseau en y associant un mécanisme de traçage de type « garantie d’origine ».

Mais pour les industriels qui veulent aller plus vite et ne pas attendre le verdissement du réseau, qui n’est pas pour tout de suite, la conversion est plus complexe. Les gaz de synthèse ou biogaz produits sur place peuvent avoir une composition variable, incompatible avec certains usages. « L’utilisation est plus aisée pour les chaudières, alors que pour les fours, si le gaz doit être en contact avec le produit, il faut du gaz du réseau », explique Céline Huitric, d’Enea Consulting, auteur de l’étude. De même, l’arrivée de l’hydrogène pose question. Le spécialiste Fives Stein réalise d’ailleurs des essais pour utiliser 100 % d’hydrogène pour le traitement de l’acier. « Ce n’est pas du « plug and play », cela impose des modifications techniques », prévient Sébastien Caillat.

Le fabriquant d’isolants bio-sourcés Isonat teste également toutes les possibilités de remplacement du gaz naturel dans le cadre de sa politique de décarbonation. « Nous avons beaucoup de projets dans les tuyaux pour remplacer le gaz par l’électricité, le biogaz, la biomasse, voire l’hydrogène. On sait que l’on peut faire circuler du biogaz dans nos réseaux, mais déjà que le gaz naturel n’est pas standard selon les pays d’où il provient, avec le biogaz la variation est accentuée et soulève des questions, explique Lucile Charbonnier, directrice RSE et développement durable du groupe. Avec l’hydrogène, on bascule dans la réglementation Seveso à cause du stockage et une approche territoriale qui n’est pas encore à notre portée là où nous sommes implantés. La biomasse semble prometteuse, car nous avons des déchets de bois à valoriser ; mais attention à l’approvisionnement, il faut être prudent ». Le groupe doit donc faire face à des contextes locaux propres à chaque usine, de même qu’à des lignes de production industrielles de génération différentes nécessitant des solutions différentes.

Heureusement, sa politique de décarbonation ne se résume pas au volet énergétique de ces sites qui peut prendre du temps à se décarboner. Et à l’instar de nombreux autres industriels, le groupe s’attaque à tous les leviers possibles, comme l’origine de ses matières premières ou encore l’écoconception de ses produits. « Les choix de production, c’est-à-dire ce que je décide de produire et comment je vais le produire sont aussi importants », rappelle Lucile Charbonnier.

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