L’exploitation des mines de Ghara Jbilet, dans la région de Tindouf, a été récemment lancée par l’Algérie. Avec cette initiative unilatérale, le pays rompt ses engagements, pris conjointement avec le Maroc au début des années 1970, concernant l’exploitation en commun de ce gisement de fer.
Le ministre algérien de l’Energie et des mines, Mohamed Arkab, a donné, en fin de semaine dernière, le signal de lancement pour l’exploitation de la mine de fer de Ghara Jbilet à Tindouf. Les travaux concerneront la région ouest en tant que site de la phase pilote.
Selon les médias officiels algériens, le gisement qui sera exploité s’étend sur une superficie de 5 000 hectares, soit un tiers de l’étendue totale de la mine (15 000 ha). Les réserves dans cette zone sont estimées à 1 milliard de tonnes de fer.
Le ministre algérien a indiqué que «ce projet structurant passera par plusieurs étape, de 2022 à 2040», notant que «la première s’opèrera de 2022 à 2025», avec l’extraction et le transport terrestre de «deux à trois millions de tonnes de minerai», en attendant l’achèvement de la ligne ferroviaire entre Bachar et le site d’exploitation.
Le Conseil des ministres algérien, tenu le 8 mai et présidé par Abdelmadjid Tebboune, a convenu de lancer la première phase du projet qui «représente une source importante de revenus pour le pays» et qui revêt une «importance vitale pour faire avancer le rythme du développement local et national» en Algérie.
La rupture d’un engagement pris dès les années 1970
Ce projet est l’une des illustrations des relations tendues entre le Maroc et l’Algérie. Le 15 juin 1972, la déclaration maroco-algérienne de démarcation frontalière a prévu l’exploitation conjointe de la mine de Ghara Jbilet. L’accord a été porté au Bulletin officiel algérien le 15 juin 1973 et a été ratifié par le gouvernement marocain, le 22 juin 1992.
Le document, qui porte le sceau du roi Hassan II (1962 – 1999) et celui du président Houari Boumédiène (1965 – 1978), précise qu’au vu de «la particularité qui caractérise les relations fraternelles existantes entre l’Algérie et le Maroc, il ne peut être admis que la frontière constitue une barrière entre les deux peuples frères, car elle est en fait un espace de croisements de sentiments et d’intérêts».
Cette promesse a été faite en présence d’une quarantaine de représentants de pays d’Afrique, venus participer au Sommet de l’Organisation de l’union africaine, tenu à Rabat. Les deux chefs d’Etats signataires ont affirmé que «la conclusion du traité de délimitation de la frontière algéro-marocaine et du traité de coopération pour l’investissement de Ghara Jbilet confirme [leur] ferme détermination à consolider les piliers d’une paix durable, à travers les années et les siècles».
Abdelhadi Boutaleb, alors ministre marocain des Affaires étrangères, a déclaré que Hassan II avait un intérêt particulier à exploiter la mine. Dans une interview au journal Al-Sharq al-Awsat, publiée en 2001, il a confirmé qu’après son retour de Tunisie, il a été chargé par le souverain de suivre le dossier avec son homologue algérien, Abdelaziz Bouteflika. Hassan II a souhaité un traitement rapide de la question, pour que l’accord entre en vigueur le plus tôt possible.
Le ministre marocain a aussi confié avoir pris des initiatives auprès de son homologue algérien, pour organiser une rencontre, au Maroc ou en Algérie, «mais toutes ses tentatives ont été infructueuses». Depuis, la question est restée en l’état, jusqu’à la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’OUA et son sommet à Lusaka, en Zambie, où Boutaleb a rencontré Bouteflika, qui a semblé déterminé à revenir sur l’accord.
«Le troisième jour [du sommet], j’ai exhorté [Bouteflika] pour tenir une réunion bilatérale. Je lui ai dit que c’était une affaire sérieuse et que j’étais venu pour le Sommet africain, mais aussi pour soulever la question entre nous. Qu’y a-t-il à ce que nous nous rencontrions [à ce sujet]? Bouteflika a rétorqué: « non, rien, déjeunons seuls dans votre chambre ».»
Boutaleb a confié avoir été surpris, lorsque son homologue algérien lui a demandé : «Comment comprenez-vous, au Maroc, le contenu de l’accord sur notre partenariat dans la mine de Ghara Jbilet ?». Le ministre marocain répond alors : «Nous le comprenons comme il a été dit à son propos, que vous commercialisez ce qui est produit dans la mine, par le biais d’une voie ferrée vers le Maroc, en direction d’un port marocain donnant sur l’océan Atlantique, et que les revenus sont partagés à parts égales entre nous.»
Bouteflika a répondu : «Nous comprenons que nous somme d’abord en accord sur le fait que le territoire où se situe la mine est un sol algérien, et aussi que nous partageons à parts égales l’excédent aux besoins de l’Algérie, en termes d’exportation et de commercialisation… Nous sommes prêts à mettre en œuvre [l’accord], mais nous sommes d’abord les ayants droit de notre mine, puis nous partageons équitablement.»
Bouteflika a laissé entendre que le fer extrait irait aux besoins intérieurs. Pour sa part, Boutaleb a confirmé que lorsqu’il a raconté à Hassan II sa conversation avec son homologue de la diplomatie algérienne, «il a semblé blessé et sans doute affecté, parce que l’Algérie est allée trop loin dans ses demandes en vidant l’accord de son contenu».
Près de cinq décennies après la signature de l’accord de démarcation des frontières, les autorités algériennes ont ignoré cet engagement bilatéral pour exploiter la mine de Ghara Jbilet. Elle se sont appuyées sur le même traité, signé en 1972, pour justifier l’expulsion des agriculteurs marocains, en mars 2021, de la région d’El Arja, à quelques pas du centre de la ville de Figuig.
YABI