Dur dur d’être fan de Kate Bush

1985. Pour son anniversaire, mon frère se fait offrir le 45-tours de « Running Up That Hill » de Kate Bush – à l’époque tout le monde dit Cat Beuche en France. J’adore la pochette, mais je serai contraint d’en écouter des bribes. Il est entendu que nous ne pouvons pas être fans des mêmes chanteuses avec mon frère – juste avant, c’était Chantal Goya pour moi, Karen Cheryl pour lui.

1989. Mon frère s’achète la K7 du nouvel album de Kate Bush, « The Sensual world ». Je n’ai pas de lecteur cassette. Je deviens fan de Janet Jackson à la place.

1991. Avant de partir au lycée, je mange mes céréales devant les clips sur M6. Je tombe définitivement amoureux de Kate Bush grâce à sa fabuleuse reprise du « Rocket Man » d’Elton John. Mon frère n’habite plus à la maison et j’ai désormais le droit de devenir fan. Mais le CD-2 titres est introuvable au centre commercial d’Évry 2 et je ne vais quand même pas acheter un double album hommage à Elton John pour cette seule chanson.

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1992. J’emprunte à mon oncle « The Whole Story », le best of Kate Bush. C’est la période drogue dure et corne d’abondance. J’achète à Évry 2 tous les albums en CD, je les apprends par cœur. Je dessine Kate, je l’intronise ma muse, je soûle mes camarades de classe qui sont assez nuls pour ignorer cette déesse ultime.

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1993. Je rate mon contrôle d’allemand par surexcitation, un samedi matin, avant de me rendre à la Fnac Bastille par le RER C. La sortie du nouvel album de Kate Bush – le premier en quatre ans – a été annoncée dans « Télérama » pour le 5 octobre. Une fois sur place, j’apprends que tout est décalé d’un mois. Coup de poignard. Le 5 novembre je suis au Virgin Mégastore des Champs. J’en reviens avec un CD qui me déçoit un peu, mais je ne me l’avoue pas, ni que ça va être dur d’attendre le prochain encore quatre ans. En fait, ça va durer douze ans.

Un duo avec Elton John qui braille comme un putois
2005. C’est la dernière corne d’abondance, « Aerial », un double album sublime que j’ai acheté à la Fnac de Caen. J’ai une grosse journée de cours le lendemain mais tant pis si rien n’est prêt, j’écoute le chef-d’œuvre en boucle. Entre deux écoutes, je viens emmerder mon colocataire qui ose encore ignorer la discographie du plus grand génie de la pop.

2011. Kate Bush sort deux albums, mais c’est une fausse corne d’abondance cette fois. Le premier est fait de ternes reprises de ses propres compositions. Le deuxième comporte sept titres seulement. Dont quatre merveilles, oui. Mais un duo avec Elton John qui braille comme un putois. Un titre où elle répète en boucle une seule phrase pendant un quart d’heure. Un autre où elle énumère sans chanter cinquante appellations possibles de la neige. On s’ennuie un peu.

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2014. J’ai beau être sur mon PC une heure en avance et rafraîchir la page toutes les deux secondes, je ne réussis pas à obtenir un billet pour la série de concerts que Kate Bush donne à Londres. C’est la première fois qu’elle se produit sur scène depuis 1979. J’en pleure de rage. Je me console en me disant qu’il y aura un DVD. Mais il n’y aura jamais de DVD. Seulement un triple CD et des articles de presse décrivant le plus merveilleux spectacle jamais réalisé par un artiste pop. Je hais tous les spectateurs qui se gargarisent de leurs souvenirs éblouis.

2021. Cela fait dix ans que Kate Bush n’a pas sorti de nouveauté. Le dernier événement marquant a été la réédition intégrale de ses dix albums en vinyle. Je n’ai toujours pas de platine et n’ai pas l’oreille assez fine pour apprécier la différence avec mes vieux CD. Sur les forums, ça spécule sur une retraite définitive. Les fans répètent religieusement : « Elle nous a tant donné, elle ne nous doit rien. » Je les maudis.

2022. A cause d’une série sur Netflix dont le succès est phénoménal mais que je ne regarde pas – je n’aime pas la teen SF –, Kate Bush remonte en tête des classements un peu partout dans le monde et gagne des millions en un temps record, tandis qu’une véritable Bushmania se déchaîne sur les réseaux. Tout le monde se réjouit de voir la génération TikTok avoir une chance de découvrir le catalogue de la plus influente artiste pop des quarante dernières années. En écoutant Bilal Hassani massacrer « Running Up That Hill » sur Konbini, j’ai comme un doute.

lobs

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