« J’ai hâte d’emménager, j’attends ce jour depuis une éternité! », lance Joann Bourg devant son nouveau domicile, à 60 km de l’île à peine émergée du bayou sur laquelle elle a grandi, et que la montée des eaux menace chaque jour un peu plus.
Ils sont aussi les premiers réfugiés climatiques américains.
« La maison qu’on avait sur l’île, c’était notre foyer depuis toujours. Mes frères et soeurs et moi, on y a grandi, on est allés à l’école là-bas », se souvient Joann Bourg, dont la résidence familiale a été complétement détruite.
L’endroit qu’ils ont dû fuir, l’Isle de Jean Charles, est un confetti d’un kilomètre carré. Il est peuplé des descendants de plusieurs tribus amérindiennes qui s’y étaient réfugiées pour fuir les persécutions de l’Etat au XIXe siècle.
Mais le réchauffement climatique a transformé l’île en symbole du mal qui dévore la Louisiane, l’érosion.
Cet Etat du Sud, régulièrement endeuillé par des ouragans destructeurs, voit sa ligne côtière reculer inexorablement.
– 90% engloutis –
A terme, 37 maisons neuves seront construites à Schriever pour loger une centaine de résidents ou anciens résidents de l’Isle de Jean Charles, grâce à 48 millions de dollars d’aide fédérale.
« C’est le premier projet de ce genre dans l’histoire de notre pays », explique à l’AFP le gouverneur démocrate de Louisiane, John Bel Edwards, venu assister aux remises des propriétés.
« On avait déjà racheté des maisons pour faire déménager des gens. Mais on n’avait jamais déménagé toute une communauté à cause du changement climatique », dit-il.
Depuis les années 1930, l’Isle de Jean Charles a perdu 90% de sa surface, explique Alex Kolker, professeur associé au Consortium marin des Universités de Louisiane.
L’Isle de Jean Charles était déjà fragile, et le changement climatique « la met encore plus en danger », avec la baisse du niveau du sol, la montée des eaux, ou l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes, ajoute-t-il.
Cette zone est « l’une des plus vulnérables de Louisiane », Etat qui se classe déjà parmi les plus vulnérables du pays, affirme-t-il.
– Arbres morts –
Le long de l’unique route de l’Isle de Jean Charles se dressent encore quelques dizaines de maisons, dont il ne reste parfois que les pilotis.
L’été dernier, l’ouragan Ida a frappé très fort, balayant une partie du toit de Chris Brunet, 57 ans, qui a posé devant chez lui une pancarte: « Le changement climatique, ça craint ».
En fauteuil roulant depuis l’adolescence, il vit désormais dans une caravane, au pied de la maison où il a élevé sa nièce et son neveu orphelins.
Indifférent aux moustiques du crépuscule et s’exprimant parfois dans un vieux français acadien, Chris Brunet explique que les terrifiants ouragans ne sont rien par rapport à l’eau de mer qui grignote de plus en plus le bayou.
« Tellement d’arbres sont morts à cause de la pénétration de l’eau salée » se désole-t-il.
Pourtant, trop attaché à la terre où vit sa famille depuis cinq générations, Chris Brunet a longtemps refusé obstinément l’idée d’un déménagement. « Personne n’en voulait! », s’exclame-t-il.
Il y a quelques années, il s’est finalement rallié à l’avis du chef de sa tribu, les Choctaws, persuadé qu’il s’agissait du seul moyen de préserver la population de l’Isle de Jean Charles, qui cédait de plus en plus à l’exode.
Mais ceux dont la maison tient encore debout ne veulent pas totalement abandonner les lieux.
Bert Naquin, elle aussi nouvelle résidente de Schriever, voudrait repeindre la maison de sa famille sur l’Isle de Jean Charles, où elle passe ses dernières nuits.
En découvrant les chambres et les salles de bains de sa nouvelle demeure, elle a été abasourdie. A 64 ans, c’est la première fois qu’elle est propriétaire, à elle seule, de la maison où elle vit.
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