Une orque, un béluga et, de manière plus discrète, un rorqual se sont égarés dans la Seine à quelques mois d’intervalle. Peut-on conclure pour autant à une augmentation des incursions de cétacés dans les fleuves ? Interrogé par Sciences et Avenir, le chercheur Jérôme Spitz relativise les derniers événements.
Béluga égaré dans la Seine
Des sauveteurs soulèvent un filet contenant un béluga égaré dans la Seine, le 9 août 2022. L’animal ne survivra pas à son transport.
Fin mai 2022, une orque mourait de faim – selon les premières constatations de la nécropsie – dans la Seine alors qu’elle avait été repérée une première fois le 17 mai 2022, entre le pont de Normandie et Tancarville. Le 3 juillet, un rorqual était signalé également près du pont de Normandie. Les autorités et l’ONG Sea Shepherd perdaient ensuite sa trace, espérant son retour à la mer. Un mois plus tard, toujours dans la Seine, un béluga, une espèce que l’on retrouve habituellement dans les eaux froides, s’égarait à son tour. L’opération de sauvetage inédite mise en place n’avait pas permis de le sauver. En grande souffrance, l’animal avait finalement été euthanasié.
Ces trois cas d’incursions de cétacés dans un fleuve français interrogent autant qu’ils inquiètent : malgré les efforts fournis et les moyens déployés, une prise en charge de ces animaux, qui peuvent atteindre plusieurs tonnes, reste souvent difficile. Et la fréquence des derniers épisodes peut faire craindre, à première vue, une multiplication des égarements. Mais est-ce vraiment le cas ? Sciences et Avenir a interrogé Jérôme Spitz, chercheur au CNRS et co-directeur de l’Observatoire pour la conservation de la mégafaune marine (Pelagis).
Sciences et Avenir : Après l’entrée d’une orque, d’un rorqual et ensuite d’un béluga dans la Seine, peut-on dire que les incursions de cétacés dans les fleuves français sont de plus en plus fréquentes ou est-ce une simple impression ?
Jérôme Spitz : Pour le moment, nous sommes plutôt sur un effet de loupe. Notre travail permet de référencer les cas d’échouage et d’animaux marins hors de leur habitat naturel. Et avec nos données qui s’étendent sur 40 ans, nous n’avons pas observé d’anomalie concernant ces incursions de cétacés.
Dernièrement, les incursions dans la Seine sont certainement des coïncidences concernant le lieu, et elles ne sont pas de même nature. Si on se penche sur le cas du rorqual, c’est une espèce qui fréquente les eaux françaises et qui est relativement abondante. Quant à l’orque, elle pouvait vivre aussi au large des côtes françaises. Le cas du béluga est plus remarquable car il n’est pas présent dans cette région du monde. L’orque et le béluga étaient malades, en fin de vie. Finalement, on ne peut pas généraliser les incursions et aucun élément ne permet aujourd’hui de faire un lien entre ces observations.
Ces événements rappellent par ailleurs au grand public la diversité de la faune marine qui se trouve au large des eaux françaises. Le public a tendance souvent à idéaliser ces animaux iconiques et à oublier qu’ils naissent et meurent au large, qu’ils peuvent être atteints de maladies et que certains individus peuvent présenter des comportements aberrants.
Et il est aussi important de rappeler que les incursions de grands prédateurs marins étaient plus fréquentes avant l’artificialisation des cours d’eau qui a repoussé les cétacés au large.
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