Nucléaire : les réacteurs à neutrons rapides pourraient-ils prendre la suite des EPR ?

Alors que de nouveaux EPR devraient voir le jour en France d’ici 2040 pour remplacer des réacteurs vieillissants, Futura a exploré d’autres technologies de réacteurs. Au programme de ce premier article, l’une d’elles souvent éclipsée par les réacteurs à eau pressurisée mais existant depuis des décennies : les réacteurs à neutrons rapides ou RNR.

Ils ont été annoncés par le président Emmanuel Macron en février 2022 : entre 6 et 14 EPR (European Pressurized Reactor ou Evolutionnary Power Reactor) vont être construits d’ici 2040, afin de maintenir le nucléaire comme source principale d’électricité en France. Ces réacteurs reposent sur le même principe que ceux utilisés actuellement : de la chaleur est créée dans la cuve par des réactions nucléaires, puis extraite par de l’eau maintenue liquide sous haute pression. Cette eau circule en boucle fermée dans le circuit primaire, lui-même en contact indirect avec un circuit secondaire. Elle se refroidit au contact de celui-ci, en transmettant sa chaleur à de l’eau qui y circule. Cette dernière se vaporise alors et vient faire tourner une turbine qui enclenche un alternateur : de l’électricité est générée !

La chaleur créée par les fissions des atomes d’uranium est transmise à l’eau qui circule dans la cuve entre les crayons combustibles : on l’appelle « eau du circuit primaire ». Cette eau passe ensuite dans le générateur de vapeur où de l’eau moins chaude, appelée « eau secondaire », circule également. Sans entrer en contact, pour éviter toute contamination, l’eau secondaire est réchauffée et vaporisée, avant de venir faire tourner une turbine. © IRSN

Des ressources en uranium pour moins de 100 ans

Cette technologie de réacteurs a été favorisée par la France pendant des décennies. Depuis, de nombreux retours d’expérience sont disponibles, permettant notamment d’améliorer la sûreté des centrales. Alors pourquoi changer de technologie, quand on sait parfaitement utiliser celle déjà existante ?

Plusieurs raisons. Les déchets, tout d’abord : tout comme chaque exploitation industrielle, les centrales nucléaires génèrent des déchets. À ceci près qu’une grande partie d’entre eux sont radioactifs, dont certains ont une durée de radiotoxicité de plusieurs centaines, voire milliers d’années. Mais aussi, le coût lié au prix des matières premières, car les ressources en uranium sont limitées. Cet élément, le plus lourd à l’état naturel sur Terre, est 10.000 fois plus rare que le fer. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA), les ressources en uranium permettent a minima de répondre à la demande d’ici 2040. Mais quid de l’avenir lointain ? Futura a interrogé un expert du CEA sur une autre technologie de réacteurs : les réacteurs à neutrons rapides.

Ce concept est aussi vieux que les réacteurs à eau pressurisée (REP). Appelés RNR pour Réacteurs à Neutrons Rapides, ces réacteurs utilisent un combustible et une technique de refroidissement différents des REP, notamment, « ils utilisent mieux les atomes fissiles et fertiles du combustible que les réacteurs à eau pressurisée, car les neutrons rapides font fissionner davantage de noyaux », explique Eric Abonneau, adjoint du programme 4e génération du CEA. En effet, dans un réacteur à eau pressurisée, les neutrons sont ralentis par l’eau liquide qui circule dans la cuve. Cela leur permet une plus grande probabilité (aussi appelée section efficace) de fission qu’avec un neutron rapide, lorsqu’ils rencontrent un atome d’uranium 235 ou de plutonium 239, des isotopes fissiles de l’uranium et du plutonium. 

Mais, contrairement aux neutrons ralentis, dits « thermiques », les neutrons rapides ont la capacité de faire fissionner bien plus d’isotopes autres que ceux dits fissiles, car ils possèdent une plus grande énergie. Ainsi, dans un réacteur à neutrons rapides, au contraire, « les réacteurs à neutrons rapides ne nécessitent pas de modérateur, car les neutrons ne doivent pas être ralentis », continue E.Abonneau. Ils nécessitent donc seulement un caloporteur pour transporter la chaleur.

« La température d’entrée dans le cœur est d’environ 390 °C, et celle de sortie de 550 °C. La chaleur se transmet dans un circuit secondaire, qui est aussi en sodium. Puis, le circuit secondaire échange sa chaleur avec un circuit tertiaire, soit par un échangeur sodium/eau, soit par un échangeur sodium/gaz. » De plus, cette possibilité de faire fissionner bien plus de noyaux pallierait le problème des ressources en uranium : « On pourrait réutiliser le plutonium qui vient des REP, en plus d’utiliser l’uranium appauvri qui est actuellement mis de côté en France : on obtiendrait une bien meilleure durabilité », explique E.Abonneau.

Le projet Astrid de réacteur expérimental à neutrons rapides du CEA dont le fonctionnement est détaillé ici, s'est déroulé entre 2010 et 2019. il a permis de concevoir trois systèmes de barres de commande différents, des éléments clés de sûreté nucléaire. © CEA

Des avantages incontestables pour les réacteurs à neutrons rapides mais insuffisamment compétitifs

Cette technologie a déclenché un vif intérêt aux débuts du nucléaire civil. « Très tôt, les scientifiques ont compris l’intérêt du spectre rapide pour les neutrons. Dès les années 1960, on a commencé à utiliser des réacteurs à neutrons rapides : d’abord avec Rhapsodie, puis Phénix et Superphénix », explique E.Abonneau. Des réacteurs restés en exploitation pendant quelques décennies au total, mais aujourd’hui tous arrêtés. « Pour SuperPhénix, nous avions démarré une instruction dans les années 1990 pour son redémarrage, mais une décision politique a conduit à la mise à l’arrêt du réacteur. »

Pourtant, bien que le retour d’expérience soit minime par rapport à celui des REP, les RNR possèdent des avantages incontestables, tant au niveau du fonctionnement que de la conception : « Les RNR fonctionnent à pression atmosphérique, contrairement aux REP où la pression impose des coques épaisses ». Des avantages qui, pour l’instant, ne font pas le poids face aux REP, mais le pourraient dans un avenir proche, notamment pour la question des ressources en matières premières : « Avec la raréfaction de l’uranium, les REP vont se heurter à un manque d’approvisionnement. Il reste peut-être entre 50 et 100 ans, mais pas plus. Les RNR pourraient durer plusieurs milliers d’années, car ils peuvent être isogénérateurs : ils produisent autant de matière fissile qu’ils en consomment ». 

Reste malgré tout la question du caloporteur : du sodium dans la plupart des technologies, très réactif avec l’eau et l’air. Dans d’autres RNR, du plomb, du plomb-bismuth, ou encore des sels fondus sont utilisés, comme l’explique E.Abonneau : « Récemment, on s’est aussi concentré sur une autre technologie : les réacteurs à sels fondus. Le combustible s’y trouve sous forme liquide, ce qui a des avantages pré supposés de sûreté mais apporte aussi un certain nombre de verrous technologiques à lever (corrosion, matériaux…) ».

Finalement, la question pourrait bien se poser une fois que les REP perdront en compétitivité. À ce moment-là, « même si la construction d’un RNR coûte plus cher que celle d’un REP, il sera bien plus avantageux une fois en fonctionnement en matière d’économie, de souveraineté et de services rendus… », conclut E.Abonneau.

FUTURA

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