Deux chercheurs britanniques reconstituent des tableaux recouverts par d’autres œuvres. Ils font apprendre le style des peintres concernés pour obtenir une version plausible de la toile disparue.
Début septembre 2022, la Focus Art Fair du Carrousel du Louvres à Paris a exposé rien de moins qu’un tableau de Vincent Van Gogh jamais montré. Représentant un corps à corps entre deux lutteurs, il a été découvert en 2012 sous une nature morte de fleurs des champs dans un vase signé… Van Gogh ! A l’époque, des experts en arts de l’université d’Anvers (Pays-Bas) cherchaient à confirmer que l’artiste flamand en était bien l’auteur et avaient eu recours à des rayons X. Sans le vouloir, ils ont révélé dans l’opération les deux athlètes. La nature morte avait été exécutée par-dessus en 1886 alors que Van Gogh étudiait à l’Académie des beaux-arts d’Anvers. Une lettre à son frère Théo atteste que l’artiste a bien peint ces deux lutteurs.
Une femme nue derrière un Picasso
Bien sûr, rayons X obligent, les deux scènes se mélangent sur les vues de 2012. Or, depuis 2019, deux chercheurs de l’University College of London, le spécialiste en apprentissage automatique et neurosciences Anthony Bourached et le physicien George Cann, s’emploient à recréer via l’intelligence artificielle des tableaux disparus après qu’un artiste a peint autre chose par-dessus. C’est le projet NeoMasters, qui a donné lieu à la fondation d’une start-up, Oxia Palus. Tout a commencé par un portait de femme nue masqué par Le vieux guitariste aveugle (1903) de Picasso et un paysage, une vue du parc du Labyrinthe à Barcelone, recouvert par La miséreuse accroupie (1902), du même.
Le processus commence par le tri entre les tracés des peintures superposées. Les vues en rayons X donnent en effet des images confuses et pas très nettes. Les chercheurs retirent ainsi, à la main, sur les images numérisées, les éléments qui ne peuvent pas être présents sur la peinture cachée. Par exemple, des fleurs dans une scène de lutte.
Compléter le tracé des contours
Mais ils utilisent aussi des algorithmes entraînés sur d’autres œuvres du peintre concerné pour parfaire et compléter le tracé des contours de la scène à ressusciter. La nouvelle image ainsi obtenue est un genre de dessin à colorier. Et c’est exactement ce qu’ont fait les chercheurs, ou du moins leurs outils d’intelligence artificielle. Les fondateurs d’Oxia Palus ont fait apprendre à un autre algorithme le style de Van Gogh, son usage des couleurs et ses coups de pinceaux, à partir de centaines de toiles du maître. A partir de quoi le réseau de neurones a généré sa version en couleurs de ce qu’a pu être le tableau des deux lutteurs peint par Van Gogh.
Comme toujours en IA, rien de certain : il s’agit d’une prédiction à partir d’une base de données existante. Mais, contrairement à leurs premiers travaux sur Picasso, les chercheurs sont allés jusqu’à imprimer la toile en 3D pour la présenter à Paris. Elle n’est pas la seule : le même processus a été utilisé pour imprimer en 3D la vue de dos d’un nu de femme. Pour en obtenir les contours, les chercheurs ont donné pour modèle à leur algorithme l’huile sur toile Statuette en plâtre : torse de femme, vue de face. Cette œuvre a été découverte sous le tableau La Crau with a view of Montmajour fortement suspecté d’avoir été peint par Van Gogh. Par honnêteté, cependant, aucun des deux tableaux recréés n’est signé Van Gogh. L’auteur est Neo Van Gogh.
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