Omar Hamidou Tchiana : « Barkhane continue de tuer des Nigériens ».

Dans un entretien avec Mondafrique, Omar Hamidou Tchiana, député national nigérien, président du parti Amen- Amin, principal opposant au président Mohamed Bazoum dresse, de passage à Paris, un bilan très critique de la gouvernance politique au Niger et fustige le reploiement de l’armée française dans son pays, après le retrait total de Barkhane du Mali.

Mondafrique : Vu de l’étranger, le Niger est présenté comme une exception démocratique et un îlot de stabilité dans une Afrique de l’Ouest déstabilisée par l’insécurité et les coups d’Etat. Quel est votre regard, à vous, sur la situation actuelle de votre pays ?

Réponse : C’est cette image de carte postale qui est vendue à l’étranger à grands renforts d’une campagne de communication chèrement payée à des agences de communication. La réalité est tout autre et ils nous arrivent, à nous Nigériens, de nous demander de quel Niger parle-t-on vraiment ? Le fait est que la démocratie a été confisquée par le pouvoir actuel : le droit de manifester n’existe désormais que pour les partisans du pouvoir [NDLR : après 4 ans d’interdiction de toute manifestation, le pouvoir a autorisé le dimanche 18 septembre un rassemblement à Niamey contre la présence militaire française au Niger] ; les journaux ont été caporalisés à travers des tirages payés rubis sur ongle aux imprimeries par la présidence de la république ; les dernières élections ont été truquées comme vous le savez. La liste des faits qui viennent infirmer l’image vendue à l’étranger sera très longue, si on devait la dresser.

Mondafrique : Vous voulez dire que l’alternance à la tête de l’Etat entre un président élu qui arrive et un autre qui s’en va n’a pas consolidé la démocratie au Niger ?

Réponse : Pour nous, il n’y a pas eu d’alternance démocratique. Au regard des conditions de sa candidature et des circonstances de son élection, Mohamed Bazoum reste et demeure illégitime. C’est d’ailleurs cette illégitimité qui l’empêche de prendre à bras le corps les vrais problèmes du pays. Il n’a suscité aucun espoir sur aucun des grands défis que connaît le Niger, de la corruption à l’insécurité en passant par l’école, la santé, l’économie et l’adaptation aux changements climatiques. Mohamed Bazoum est juste là pour meubler le siège.

Mondafrique : On sent dans ce que vous dites l’opinion partagée par une partie des Nigériens qui souligne une confusion de gouvernance voire un bicéphalisme à la tête de l’Etat entre l’actuel persident et son prédécesseur Issoufou Mahamadou. Avez-vous vraiment cette lecture de la situation au sommet de l’Etat ?

Réponse : C’est un constat évident. Et cela confirme, pour nous, la crise de légitimité de Mohamed Bazoum. En effet, s’il se sentait légitime, il n’aurait jamais accepté d’être mis en ballotage par son prédécesseur.

Mondafrique : L’actuel président avait pourtant assuré lors d’une rencontre avec les acteurs de la Société civile qu’il allait défendre les libertés publiques et individuelles dont celle de manifester librement parce que lui-même en avait bénéficié quand il était dans l’opposition. Que s’est-il donc passé ?

Réponse : Nous avons manifesté ensemble, côte à côte avec Monsieur Mohamed Bazoum contre le 3ème mandat du Président Mamadou Tandja qui respectait notre droit à la manifestation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, le pouvoir du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) a confisqué toutes les libertés autant pour ses opposants politiques que pour la société civile. Dans les faits, il n’y a eu aucune suite aux engagements pris par Bazoum devant la Société civile. Et cela ne nous surprend pas venant de lui : il a toujours eu le verbe haut et les actes bas.

Mondafrique : Où en est-on avec les dossiers des personnes détenues suites aux troubles post-électoraux de février 2021, intervenus juste après la proclamation des résultats du premier tour de la présidentielle de décembre 2020, sachant que le président Bazoum avait indiqué, dans un entretien avec la presse, qu’il comptait faire accélérer le traitement de leurs dossiers par la justice ?

Réponse : Pour nous, il ne s’agit ni plus ni moins que de prisonniers politiques. Des personnes dont le seul tort est d’avoir contesté la candidature de Bazoum à la présidentielle. Depuis février 2021, ces Nigériens croupissent en prison. Une situation d’autant plus incompréhensible que le même pouvoir a fait libérer des terroristes de la prison de haute sécurité de Koutoukalé [NDLR : située à une cinquante de km au nord-ouest de Niamey] qui ont finalement retourné leurs armes contre le Niger. Alors que c’est lui-même qui rend désormais la justice dans son palais, Bazoum aurait pu faire libérer ces détenus politiques et leur permettre de retrouver leurs familles.

Mondafrique : Vous êtes très critiques sur le redéploiement de l’armée française au Niger après son retrait définitif du Mali. Qu’est-ce qui vous dérange : la méthode ? l’efficacité de la présence de Barkhane ? Son impact sur la souveraineté du Niger ?

Réponse : C’est tout cela à la fois. Je vais être très précis pour être sûr d’être bien compris. En novembre 2021 à Tera, dans le nord-ouest du Niger, trois jeunes Nigériens ont été tués par Barkhane. A l’époque, face aux protestations des Nigériens, Madame Florence Parly, ministre française des Armées avait répondu en termes que je résumerai par : « circulez, il n’y a rien à voir ». Imaginez-vous : un Africain tuerait un chien en France, il ne quitterait pas le territoire français sans avoir été jugé. Après Tera, l’armée française a tué des Nigériens à Ayerou et Karma sans jamais avoir eu à répondre de ses actes. Pour nous, il est inacceptable que Barkhane tue des Nigériens et que rien ne se passe. Disons les choses clairement : si Barkhane persiste dans son attitude, c’est parce que l’armée française n’a aucune considération pour la vie des Nigériens. Nous ne voulons pas de Barkhane sur notre territoire, surtout lorsqu’elle tue les Nigériens et les méprise. Sa présence n’a rien changé au défi sécuritaire auquel font face les populations du nord-ouest du Niger, région que je parcours régulièrement en tant que député national, élu de cette circonscription.

Mondafrique : Votre état des lieux sur la sécurité au Niger contraste fortement avec l’appel lancé par le président Bazoum aux populations déplacées des régions de Tillabéry (nord-ouest) et Diffa (sud-est) afin qu’elles retournent dans leurs villages. Ne forcez-vous pas un peu trop pour noircir le tableau ?

Réponse : Pas du tout. Le même Bazoum qui appelle les populations à regagner leurs villages s’est déplacé à Tillabéry avec plus de 500 éléments des forces de défense et de sécurité (FDS), appuyés par des hélicoptères, des drones, des véhicules blindés… Il a eu recours à la même armada pour sa protection pour se rendre à Diffa. Si la sécurité était vraiment revenue au point où les populations peuvent rentrer chez elles, pourquoi a-t-il, lui, eu besoin de toute cette armada pour se déplacer. La sécurité qu’il veut pour lui, nous la voulons pour l’ensemble des Nigériens. Aujourd’hui, vous ne pouvez pas aller à 15 km de Niamey, sans la crainte d’être attaqué ou de sauter sur une mine. Je ne parle même pas de la situation à Diffa, dans le sud-est du Niger, où les enlèvements des citoyens sont quotidiens. Et où, faute d’action de l’Etat, les parents des personnes enlevées sont obligées de payer des rançons.

Mondafrique : Mais que faire finalement pour ramener la sécurité au Niger, dans un contexte où la menace est transnationale et où, selon vous, la présence française n’a pas eu de grande utilité ?

Réponse : Si on veut relever le défi posé par l’insécurité, il faut commencer par mobiliser des forces et des moyens conséquents, en accord avec le Burkina Faso et le Mali. Si on écarte le Mali, comme cela se fait actuellement, ce pays sera utilisé comme base-arrière par les groupes terroristes pour attaquer les deux autres que le Burkina Faso et le Niger. C’est pour cela que nous avons trouvé inacceptable que le Niger s’aligne derrière la France dans le Conflit qui oppose Bamako et Paris. En tant que pays souverain, le Niger n’a pas à prendre position, à fortiori soutenir la position française, dans le contentieux franco-malien. Nous avons un destin commun et une longue frontière avec le Mali, nous n’avons pas à nous mêler des querelles entre la France et le Mali qui peuvent d’ailleurs finir par se régler.

mondafrique

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