La visite de deux jours d’Elisabeth Borne et d’une ribambelle de ministres français en Algérie, qui a débuté ce dimanche pour officiellement, « concrétiser la réconciliation franco-algérienne », interpelle d’aucuns à leur avis et à chacun son interprétation.
L’Algérie qui était isolée, boudée par ses anciens alliés et ses anciens colons, voire même effacée de la scène internationale depuis belle lurette, s’est sentie libérée plus qu’il n’en faut. Merci à qui ? Au conflit ukrainien bien sûr ! et à la crise énergétique qui en a découlé. Il y a tout juste un demi exercice (février dernier), l’Algérie, producteur de gaz, était considérée comme un paria. Aujourd’hui, elle s’est soudain muée en « partenaire fiable et loyal », selon l’UE, version Charles Michel, en voyage à Alger début septembre, afin d’améliorer la coopération énergétique avec le Vieux Continent.
Alger est même devenue depuis le déclenchement du conflit russo-ukrainien, la capitale nord-africaine d’un ballet incessant de dirigeants européens. C’est ainsi, histoire de nous limiter qu’à l’Hexagone, que quelques semaines seulement après le déplacement d’Emmanuel Macron voilà que sa Première ministre Elisabeth Borne, flanquée de 16 de ses ministres lui emboite le pas sur le tarmac de l’aéroport Houari-Boumediene d’Alger.
Mais que l’on se rassure pour ce qui est du gaz n’en déplaise à Charles Michel, même avec sa production d’un peu plus de 100 milliards de mètres cubes de gaz en 2021, elle ne peut, à court terme, combler les besoins européens. L’Algérie ne dispose pas de marges à exporter, d’autant plus que l’Italie, très dépendante au gaz, est déjà passée par là.
Le différend avec le Maroc et l’Espagne limite les exportations totales pour le moment. L’un des deux gazoducs, le Maghreb-Europe (GME) reliant l’Algérie à l’Espagne, qui passe par le Maroc, n’est plus alimenté depuis fin 2021 -son flux est plutôt à l’inverse ces derniers temps -, conséquence de la rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat.
Hespress Fr a sollicité Mustapha Tossa et tout de suite, le politologue, analyste et chroniqueur basé en France, s’est mis au diapason. « Je ne suis pas de ceux qui pensent que la visite au préalable d’Emmanuel Macron en Algérie puisse se passer au détriment du Maroc contrairement à, ce qui se dit et s’écrit dans les réseaux sociaux et à ceux qui le pensent dans les milieux politiques ou intellectuels. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, il a fait savoir que sa priorité absolue à l’égard du Maghreb c’est de réaliser une réconciliation mémorielle avec l’Algérie ».
« Il ne l’a pas réussi durant le premier mandat quand il a annoncé l’initiative de Benjamin Stora aussi, dans son second mandat il tient absolument à laisser comme trace dans l’histoire française celle de l’homme qui a réalisé le plus d’avancées, le plus d’évolution, le plus de performance dans la réconciliation mémorielle entre l’Algérie et la France », avance de prime abord le chroniqueur.
Et de poursuivre: « Aussi, ceux qui pensent que cette stratégie se fait forcément au détriment du Maroc, moi je trouve que c’est un argument raccourci qui ne reflète pas la réalité des rapports. La France est tout à fait en droit d’avoir le type de relations qu’elle veut avec l’Algérie, mais elle doit également avoir la même liberté, le même courage et la même imagination avec le Maroc et que l’un n’exclue pas l’autre et que l’un n’annule pas l’autre. La France peut avoir d’excellentes relations avec l’Algérie, mais elle peut également avoir d’excellents rapports avec le Royaume« .
Maintenant, analyse le politologue, « toute la question est de savoir, si ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron accorde à l’Algérie cette importance politique en l’occurrence la moitié du gouvernement français se trouve en Algérie, que forcément cela va diminuer la qualité possible des relations entre Rabat et Paris. La vraie question est de savoir aujourd’hui, ce qui empêche la France de reconnaître la marocanité du Sahara ».
Officieusement, nous dit encore Mustapha Tossa, « c’est son rapport avec l’Algérie qui la maintient dans une forme d’expression contrainte. Cependant beaucoup d’initiatives récemment en France ont envoyé des messages à l’égard de la présidence et de la diplomatie française que le temps est venu de dépasser tous ces obstacles et de normaliser -entre guillemets- les rapports avec le Royaume en reconnaissant comme l’ont fait les Etats-Unis, la totale souveraineté du Maroc sur son Sahara ou du moins comme l’ont fait l’Espagne et l’Allemagne ou les Pays-Bas… »
Voilà ce qui est en jeu, nous explique encore l’analyste. « L’histoire des visas et autres ne sont que des conséquences et autres dommages collatéraux d’une divergence apparemment stratégique entre Paris et Rabat. En effet, Paris n’ose pas franchir le pas de la reconnaissance totale et officielle parce qu’il y a des reproches sourds qui sont faits sur l’alliance tripartite avec Israël et les Etats-Unis, sur l’activisme de plus en plus efficace sur la scène africaine et sur un certain nombre de dossiers », dit-il.
En deçà de cela, Mustapha Tossa a tenu à rappeler que l’apparition de l’activiste séparatiste Sultana Khaya samedi 10 septembre 2022 au siège de l’Assemblée nationale française n’est qu’un fait mineur et qu’il ne faut aucunement tomer dans le piège facilement et de l’amplifier. C’est un fait qui n’a aucune signification politique. Aussi d’essayer de lui donner une importance qu’il ne mérite pas dans le contexte actuel est du domaine du dérisoire.
HESPRESS