Le RN survivra-t-il à la fin de la dynastie Le Pen?

La passation de la présidence du parti d’extrême droite, qui aura lieu lors du prochain congrès en novembre, marque la fin symbolique d’une époque tout en profitant à la candidature de Marine Le Pen à la présidentielle de 2027.

Le maire de Perpignan Louis Aliot et le parlementaire européen Jordan Bardella aux côtés de Marine Le Pen, cheffe de file du RN lors d’un meeting au Cap d’Agde le 18 septembre 2022. Les deux hommes sont tous deux candidats à la présidence du parti. | Pascal Guyot / AFP

Depuis la création du Front national il y a cinquante ans, en 1972 –devenu Rassemblement national (RN) en 2017–, la présidence du parti a été occupée sans discontinuer par un membre de la famille Le Pen, Marine succédant à son père Jean-Marie en 2011.

La décision de celle-ci d’abandonner la présidence à un «non-Le Pen» peut donc surprendre et interroger. Elle marque, au moins symboliquement, la fin d’une époque, tournant que Marine Le Pen a assumé en évoquant lors du colloque dédié jeudi 6 octobre à l’Assemblée nationale «l’aggiornamento» du parti. Mais elle fait aussi partie d’une stratégie plus large visant à permettre à la députée RN d’être élue présidente de la République lors des élections de 2027.

Il y a encore quelques mois, la légitimité et le leadership de Marine Le Pen semblaient particulièrement contestés. Cette fragilité posait la question de l’existence même de son parti et de son avenir personnel. La situation est aujourd’hui bien différente.

Une légitimité et un leadership restaurés
En parvenant à se qualifier à nouveau pour le second tour de l’élection présidentielle, en faisant oublier son débat calamiteux de l’entre-deux-tours de 2017 grâce à une prestation plus aboutie lors de celui de 2022 et en obtenant finalement un score en nette amélioration comparé à son résultat de 2017 (41,45% contre 33,9%), Marine Le Pen est parvenue à la fois à éloigner la menace externe incarnée par Éric Zemmour et Reconquête! et à renforcer sa mainmise sur le parti créé par son père.

Les départs de figures comme Gilbert Collard ou Nicolas Bay pour Reconquête! et l’adhésion de Marion Maréchal à ce même mouvement lors de la campagne présidentielle ont aussi contribué à clarifier la ligne stratégique et idéologique du parti autour de l’opposition entre patriotes et mondialistes préconisée par Marine Le Pen au détriment du clivage droite/gauche.

Le profil des deux principaux prétendants à sa succession illustre ce point. Louis Aliot, 53 ans, son ex-compagnon, est le seul maire RN d’une ville de plus de 100.000 habitants (Perpignan) et depuis longtemps une figure importante du mouvement. Jordan Bardella, 27 ans, est en couple avec une nièce de Marine Le Pen et représente, selon ses propres dires, «la fibre social» du parti en raison de ses origines modestes. Il est depuis plusieurs années le bras droit de Marine Le Pen. Les deux candidats n’incarnent pas un courant idéologique marqué et sont avant tout «marinistes».

Leur duel s’inscrit surtout dans le cadre d’un affrontement générationnel comme en témoigne, par exemple, la volonté du premier de célébrer les 50 ans du mouvement et la volonté du second de ne pas s’appesantir.

Entre situation inédite, opportunité à saisir et succès de sa ligne
Le choix de Marine Le Pen de laisser la présidence du parti semble être le fruit de trois phénomènes: un enchaînement d’événements inattendus, l’adaptation à une nouvelle réalité et le résultat d’une stratégie de long terme.

Le premier phénomène concerne l’élection inespérée de quatre-vingt-neuf parlementaires RN à l’Assemblée nationale dans le cadre d’un scrutin majoritaire alors même que le RN a mené une campagne des législatives minimaliste. Marine Le Pen était même partie en vacances après l’élection présidentielle en pensant qu’Emmanuel Macron obtiendrait sans problème une majorité absolue pour gouverner.

Le second prend acte de cette majorité présidentielle relative et du poids du RN dans la nouvelle Assemblée nationale. Cette dernière est aujourd’hui un lieu de pouvoir et de débats où va se décider en partie la politique du pays. Le choix de Marine Le Pen de privilégier son rôle de cheffe des députés RN intègre cette nouvelle donne et prend acte de la forte visibilité qu’elle procure désormais.

Le troisième renvoie à la stratégie de dédiabolisation mise en place par Marine Le Pen dès son arrivée à la tête du parti, en rupture avec les excès de son père et le positionnement historique du parti d’extrême droite. L’approche revendiquée pour le moment par le RN à l’Assemblée nationale (tenues vestimentaires soignées, opposition présentée comme constructive en annonçant le soutien possible à certaines propositions de loi du gouvernement en fonction des sujets…) fait écho à cette stratégie. Et le choix de Marine Le Pen de privilégier sa mission de leader parlementaire permet de l’encadrer et de la poursuivre.

Horizon 2027
Alors qu’Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter et que Jean-Luc Mélenchon vient d’affirmer qu’il n’était pas certain de le faire compte tenu de son âge, la décision de Marine Le Pen de laisser la direction du parti s’inscrit au contraire dans une stratégie tout entière tournée vers l’échéance de 2027.

Elle comporte malgré tout des risques d’un point de vue idéologique. Car la campagne ratée de Valérie Pécresse ou le vote utile, dont semble avoir été victime Éric Zemmour à l’extrême droite au premier tour de l’élection présidentielle, ont aussi contribué à la nouvelle dynamique du RN et aux récents succès de Marine Le Pen.

L’actualité centrée sur les préoccupations de pouvoir d’achat est clairement en phase avec le positionnement actuel de l’ancien parti frontiste.

Quid des questions identitaires?
Mais les questions identitaires en lien, notamment, avec l’immigration, n’ont pas pour autant disparu, comme en atteste la récente critique de la politique migratoire du chef de l’État émise par Marine Le Pen lors de son discours de rentrée du dimanche 18 septembre.

Si ce thème redevient central, les mouvements de recomposition actuellement à l’œuvre chez Reconquête! (où l’influence du trio Maréchal/Peltier/Bay est grandissante) et chez Les Républicains (où l’hypothèse d’une élection d’Éric Ciotti à la tête du parti semble préparer la voie à une future campagne présidentielle de Laurent Wauquiez) constitueront des menaces au moment de rassembler les électeurs attachés aux idées nationalistes les plus radicales ou au clivage droite/gauche.

Il sera alors temps de juger si le parti historique de l’extrême droite française sous la Ve République conserve, dans la perspective de 2027 et sans un membre de la famille Le Pen à sa tête, son pouvoir d’attraction.

SLATE

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