Au Tchad, les lignes de fractures politiques remontent quasiment aux premières heures de l’indépendance, le 11 août 1960, sur fond de bruits de bottes et de cliquetis des armes.
Alors il allait de soi qu’obtenir en quelques mois un consensus sur l’instauration d’un nouvel ordre politique pour la marche du pays serait loin d’être une sinécure.
Cette « grande » concertation nationale entre Tchadiennes et Tchadiens de toutes les sensibilités politiques, idéologiques et sociales s’imposait, suite à un accident de l’histoire qui aura résonné comme un coup de tonnerre dans le ciel politique tchadien : le décès du maréchal Idriss Déby Itno sur le champ des opérations militaires, en avril 2021.
Du fait de la forte emprise personnelle de l’ex-chef de l’Etat sur la vie politique nationale et de l’hyper présidentialisme de son régime, il est apparu impératif de doter le Tchad, pour la première fois dans son histoire contemporaine, d’institutions fortes qui sauront préserver l’Etat et la nation des soubresauts de l’histoire et des alternances politiques.
Une diversité restreinte
Cette indispensable refondation qui devrait aussi être l’occasion de mettre en place une plateforme pour le renforcement de l’unité nationale n’était envisageable qu’avec la participation la plus large possible des Tchadiens dans leur diversité et la richesse de leurs apports respectifs.
Pourtant, la rencontre qui a réuni environ 1.500 participants a été boycottée par plusieurs formations politiques de l’opposition, des associations de la société civile, de l’Eglise catholique et une dizaine de groupes politico-militaires sur les 52 ayant participé aux négociations qui ont abouti, le 8 août dernier, à la signature de l’accord de paix de Doha au Qatar.
En dépit de ce boycott, il faut cependant souligner que les résolutions et recommandations prises à l’issue de ces travaux, que le président de la transition a décrétées « souveraines et exécutoires », sont de nature à inciter les absents à rejoindre le chantier gigantesque de la refondation de l’Etat et de la nation, si toutefois les autorités qui auront en charge de les implémenter demeurent fidèles à leur feuille de route.
C’est pourquoi, il s’avère impératif de mettre en musique les recommandations et résolutions adoptées au cours de ce dialogue, afin de déboucher, à l’issue des 24 mois que va durer cette seconde phase de la transition, sur l’organisation d’élections générales, crédibles, ouvertes et transparentes, telles que souhaitées par les Tchadiennes et les Tchadiens depuis le début des années1990 et l’instauration du multipartisme et de la pratique de la démocratie.
Trois ordres de priorités
Partant du constat de l’effondrement des valeurs dans la société tchadienne (éthique, morale, politique et démocratique entre autres) et du recul substantiel des vertus civiques, la moitié des résolutions prises sont axées autour de la promotion du vivre-ensemble dans la rubrique intitulée « recommandations transversales ».
Ce diagnostic et ces résolutions sont d’autant plus importants que le Tchad n’en est pas aux premières assises consacrées à l’édification d’un nouveau contrat social. La conférence nationale souveraine de 1993 avait aussi formulé plusieurs résolutions et recommandations, dont la mise en œuvre a souffert de la mauvaise foi des dirigeants du pays.
Les catalogues de bonnes intentions issues de ces assises précédentes n’ont pas tenu leur promesse, en raison d’un déficit de volonté politique des autorités tchadiennes, au premier rang desquelles se trouvait le président de l’époque, Idriss Déby Itno.
On peut donc comprendre l’engagement du président de la transition à rassurer ses concitoyens, notamment la jeunesse, qui porte tous les espoirs de la renaissance du Tchad : « Je travaille pour vous et je m’appuierai sur vous pour qu’ensemble, nous partions résolument à la quête d’une République refondée, prospère et juste. Une République qui nous rendra fiers et dont nous serons heureux », a déclaré Mahamat Idriss Déby, le fils de l’ancien président Idriss Déby Itno.
Les participants ont porté un accent sur l’impératif de réconciliation nationale.
Les points 25, 26, 27, sous la rubrique « recommandation spécifiques » sont significatifs de la volonté commune de purger le passé des frustrations et des rancœurs qui, jusqu’à présent, rendent difficile l’émergence d’un consensus national autour des grands enjeux sociétaux et politiques qui interpellent l’ensemble des Tchadiens.
Le dernier versant des recommandations porte sur les politiques publiques futures. Elles sont axées sur les impératifs de justice sociale, pour une juste redistribution des richesses nationales. Après le temps des paroles, voici donc venu le temps des actes.
Si l’absence de certains acteurs politiques et autres organisations de la société civile de poids est à déplorer, il ne faut cependant pas désespérer de les voir rejoindre la caravane de la refondation. À cet égard, la volonté ferme et sincère des nouvelles autorités de la transition pourrait faire lever les réticences des uns et dissiper le scepticisme des autres.
Le dialogue national inclusif et souverain a également décidé de la dissolution du Conseil militaire de transition (CMT) et a désigné le général Mahamat Idriss Déby Itno président de la transition qui a été prolongée de deux ans, après que la charte de cette transition, adoptée en avril 2021, ait été révisée.
Les participants à cette rencontre ont également entériné la possibilité pour Mahamat Idriss Déby Itno de se présenter à la présidentielle à l’issue de la transition. Ceci, en dépit de la promesse qu’il avait faite lors de sa prise du pouvoir. Ce qui, de l’avis de plusieurs analystes, légalise et légitime le maintien au pouvoir du fils du maréchal Idriss Déby Itno et lui balise la voix pour la présidentielle de 2024.
L’intéressé n’a pas formellement dit s’il sera candidat ou non. Mais cette éventualité ne fait pas l’ombre d’un doute.
Tout porte à croire que Mahamat Idriss Déby Itno qui a été investi en grande pompe ce lundi 10 octobre à N’Djaména, en présence de plusieurs invités étrangers, dont le président nigérian Muhammadu Buhari, est sans doute sur les traces de son père, tué, au combat en avril 2021.
Pour autant, les Tchadiens, comme la communauté internationale, jugeront les maçons de la transition militaire au pied du mur.
DW