La rencontre entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, aujourd’hui, à Astana, était très attendue. Le président russe s’est entretenu avec son homologue en marge du sommet de la CICA au Kazakhstan, une structure de coopération qui regroupe 27 pays d’Asie.
Hier [13.10.22], le chef de la diplomatie russe, Serguei Lavrov, avait indiqué que la Russie s’attendait à des « propositions sérieuses” concernant laguerre en Ukraine. Oui, mais….
Des céréales et des engrais russes
Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé ces derniers jours vouloir « faire tout son possible pour trouver une solution pacifique au conflit Russie-Ukraine », comme l’écrivait l’agence de presse turque Anadolu.
Depuis le 1er août, c’est l’accord d’Istanbul qui a permis d’organiser l’exportation de sept millions de tonnes de céréales et d’engrais russes par la mer Noire et le Bosphore.
A Astana, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine ont d’ailleurs décidé de continuer sur cette voie, en s’assurant que les produits soient distribués aux populations les plus vulnérables ou, pour reprendre les termes du président turc : « transférer les céréales et les engrais russes vers les pays les moins avancés ».
Pour le chef de l’Etat turc, « l’accord entre la Turquie et la Russie va déranger certains milieux mais il rendra heureux les pays en développement. »
Pour la politologue belge Nina Bachkatov, du site d’analyse Inside Russia and Eurasia (Russia-Eurasia.eu), cela est une manière de se dédouaner de ce qui se passe après le transport des cargaisons, lors de la distribution, et d’appeler les institutions internationales impliquées à rendre des comptes sur des accords « dont on ne connaît même pas les montants » et en faisant oublier qu’une partie de ces céréales « ne sont en fait pas destinées à l’alimentation humaine ».
Le rêve d’Erdogan : un hub gazier
La Russie a salué la fiabilité de la Turquie pour transporter le gaz russe vers l’Europe et Vladimir Poutine propose de construire un hub gazier en Turquie, qui pourrait permettre de réglementer les prix des hydrocarbures.
Ce projet, la politologue Nina Bachkatov le qualifie de « vieux rêve d’Erdogan ». Selon elle, « on est revenu vingt ans en arrière. La Turquie s’était déjà profilée quand il y avait des propositions de gazoducs et d’oléoducs alternatifs de la part des Européens et des Russes.”
Les deux présidents ont également confirmé la construction d’un réacteur pour la centrale électrique d’Akkuyu, en Turquie. Le chantier est en cours avec l’aide de Rosatom, l’agence fédérale russe pour l’énergie atomique.
« En mai prochain, a ainsi déclaré Vladimir Poutine à Astana, il est prévu que nous commencions à [produire] du combustible nucléaire, ce qui nous permettra de solidifier notre étape commune de travail dans ce domaine. »
Et l’Ukraine ?
Sauf qu’officiellement, à Astana, « Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan n’ont pas évoqué la guerre en Ukraine”. C’est ce que prétend l’agence de presse russe RIA Novosti, citant le porte-parole du Kremlin.
« C’est quand même difficile à avaler, estime Nina Bachkatov. Ou alors ils l’ont évoquée de façon indirecte, parce que finalement, cette discussion de la coopération entre la Turquie et la Russie est une manière de réaffirmer une sorte de front dans le contexte de la guerre en Ukraine”.
Depuis plusieurs mois, la Turquie se pose en médiatrice dans la guerre en Ukraine. Membre de l’Otan, elle ne s’est pas associée aux sanctions occidentales contre la Russie. Le président turc a essayé plusieurs fois de faire dialoguer les belligérants.
Contourner les Occidentaux
Cette disponibilité de la Turquie est une aubaine pour Vladimir Poutine, de l’avis de la politologue Nina Bachkatov, qui explique que « Vladimir Poutine est en train d’explorer pour le moment des possibilités de médiation et qu’il essaie de les trouver hors des cercles occidentaux et hors des pays qui pourraient apparaître comme des sous-marins pour les Occidentaux.”
En début de semaine, le journal russe Nezavissimaia Gazeta, cité par Courrier international, évoquait pourtant l’idée de Recep Tayyip Erdogan d’organiser une « grande concertation” qui réunisse la Russie d’une part et quatre Etats d’autre part qui soutiennent l’Ukraine : les Etats-Unis, le Royaume uni, la France et l’Allemagne.
« Cette recherche de médiation permet à la Russie de prouver qu’elle est de bonne volonté, qu’elle recherche une solution et que si les Ukrainiens n’en veulent pas, charge à leurs alliés [occidentaux] de les convaincre, analyse Nina Bachkatov.
Voie de sortie de guerre honorable
Autre avantage énuméré par la politologue, cette stratégie permet aussi à Vladimir Poutine « de montrer aux Occidentaux que, quand il y a des crises internationales en 2022, cela ne passe pas forcément par les Occidentaux ou les organisations internationales dominées par les Occidentaux. »
La chercheuse pense donc que Vladimir Poutine est « demandeur, qu’il ne veut pas impliquer directement la Russie mais que ça l’arrangerait bien que quelqu’un d’extérieur, que ce soit l’Arabie Saoudite ou la Turquie, organise une conférence plus large à laquelle il pourrait participer.”
Arme atomique et anéantissement
Mais une trêve ou des négociations de paix semblent encore loin. Les Occidentaux se préoccupent, eux, des menaces de Vladimir Poutine de recourir à l’arme nucléaire contre l’Ukraine. Si cela a lieu, prévient le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, la réponse militaire des Occidentaux sera « si puissante que l’armée russe sera anéantie.
DW