C’est Aboubacar Sidiki Diakité qui a fait le premier pas. Le 28 septembre, l’ancien chef de la garde présidentielle de Moussa Dadis Camara s’est rendu jusqu’à la cellule de l’ex-président, dans la maison centrale de Coronthie, « pour lui présenter des excuses », ont rapporté certaines sources. Les deux hommes dorment dans la même prison depuis le 27 septembre, date à laquelle Moussa Dadis Camara a été incarcéré – Toumba Diakité, lui, patiente derrière les barreaux depuis bientôt six ans.
Ils ne s’étaient pas vus depuis le 3 décembre 2009. Ce jour-là, Toumba avait ouvert le feu sur son chef, lui tirant une balle en pleine tête. Le président du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) avait été rapidement transféré dans une clinique de Rabat, au Maroc, pour y être soigné, avant de partir vivre en exil au Burkina Faso. L’aide de camp, lui, s’était enfui. Comment et avec quelle aide ? De cette cavale, l’on ne sait presque rien. Très peu d’informations ont filtré depuis qu’il a été retrouvé à Dakar, en décembre 2016.
Anciens compagnons d’armes devenus ennemis jurés, désormais co-accusés, que se sont dit les deux hommes depuis qu’ils se sont retrouvés ? Et si des « excuses » ont été présentées, le capitaine les a-t-il acceptées ? Cela paraît peu probable. L’avocat de Moussa Dadis Camara a d’ailleurs utilisé cette brève entrevue derrière les barreaux pour demander à ce que son client soit placé en résidence surveillée. « L’accusé ne comprend pas qu’il soit au même endroit que celui qui a essayé de le tuer et qui est déjà venu à sa rencontre », a-t-il argumenté devant la Cour, le 4 octobre. « Sa vie est en danger. » Le tribunal a rejeté sa demande.
Commando des bérets rouges
Depuis l’ouverture du procès, Moussa Dadis Camara a pris l’habitude de s’asseoir au premier rang dans le box des accusés, tandis que Toumba Diakité s’installe sur l’un des sièges du fond, à l’écart du groupe. Ils comparaissent aux cotés de neuf autres responsables militaires. Tous sont soupçonnés d’avoir participé, directement ou indirectement, aux terribles événements du 28 septembre 2009, lorsque 157 personnes ont été tuées et une centaine de femmes violées par les forces de défense et de sécurité que l’on avait envoyé mater des manifestants réunis pour s’opposer au chef de la junte et à ses envies de rester au pouvoir.
À la différence du capitaine, qui aimait travailler de nuit et dormait encore dans la matinée du 28 septembre, Toumba Diakité était présent sur les lieux. Selon des témoins, il est arrivé à la tête du régiment des commandos, les fameux bérets rouges dont il avait la charge et qui sont responsables d’une grande partie des crimes commis ce jour-là. C’est à leur arrivée, ont rapporté plusieurs témoignages, que la fusillade contre les manifestants pris au piège à l’intérieur du stade a commencé.
Tirs en rafales, baïonnettes, coups de crosse…
Les faits sont rapportés par trois enquêteurs internationaux nommés par les Nations unies en octobre 2009, qui ont rencontré près de 700 témoins et tous les hauts responsables militaires de l’époque. « Des bérets rouges, sous le commandement du lieutenant Toumba, sont entrés dans le stade et se sont déployés en demi-cercle, tirant par rafales directement sur les gens […] tuant ainsi sans distinction des dizaines de manifestants », ont-ils établi. Selon les enquêteurs, les manifestants qui tentaient de sortir par les portes ou d’escalader les murs étaient directement abattus, tandis que les corps s’accumulaient sur la pelouse. « Plusieurs rescapés affirment que les bérets rouges ont tiré jusqu’à épuisement de leurs munitions. Après quoi, ils ont utilisé leurs baïonnettes, la crosse de leur fusil ainsi que des poignards ou des couteaux pour continuer la tuerie. »
D’autres témoignages pointent directement le lieutenant Diakité. « Personne ne sort vivant. Il faut les tuer tous. Ils pensent que c’est la démocratie ici », aurait-il tonné, pendant qu’il tirait sur les manifestants. Un autre témoin affirmera devant les enquêteurs que les bérets rouges obéissaient directement à l’officier, tirant ou baissant leurs armes selon ses instructions.
Toumba Diakité, lui, défend une autre version. Il assure n’avoir jamais donné l’ordre de tirer sur la foule. Aux juges d’instruction, il a dit s’être rendu sur les lieux pour chercher le chef de l’État qu’il n’avait pas réussi à empêcher de quitter le camp Alpha Yaya Diallo. « Toumba, le pouvoir est dans la rue. Ils vont le regretter. Il faut mâter ! » lui aurait dit celui-ci. Le lieutenant pointe aussi la responsabilité d’un neveu de Moussa Dadis Camara, Marcel Guilavogui, également dans le box des accusés.
Au vu de la gravité des faits, Toumba Diakité aurait ensuite décidé de « sauver » les chefs de l’opposition – Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Bah Oury ont en effet été battus et ligotés avant d’être exfiltrés et conduits à l’état-major de la gendarmerie. À la barre, l’un de ses co-accusés, Moussa Tiégboro Camara, secrétaire d’État chargé des services spéciaux, de la lutte anti-drogue et du grand banditisme au moment des faits, a démenti cette version. Il assure que Toumba et ses hommes se sont opposés à la prise en charge médicale des leaders politiques en le menaçant avec une grenade, le forçant par la suite à monter la garde devant la clinique Pasteur, où ces derniers seront finalement transférés.
« Le petit dieu de Dadis »
Au milieu de ces versions contradictoires, Toumba n’en démord pas : ses co-accusés se sont concertés pour lui faire porter le chapeau, il en est convaincu. « Nous ne sommes pas une défense unie, nous avons des intérêts divergents. La survie de l’un dépend de l’abattage de l’autre », affirme son avocat, Me Paul Yoba Kourouma.
Au moment des faits, la loyauté de Toumba semble indéfectible. Surnommé « le petit dieu de Dadis », il suit le chef de la junte comme son ombre. « C’est lui aussi qui se chargeait de toutes les affaires mystiques de Dadis, rappelle un proche de l’ancien président. Il allait voir ses marabouts pour la protection du chef et la sienne. » Durant l’instruction, l’ex-aide de camp déclarera d’ailleurs s’être rendu au stade avec le féticheur du président. Bardé de gris-gris, le lieutenant « invincible » est réputé pour son mysticisme. À Conakry, certains raconteront qu’il s’est changé en félin pour pouvoir s’enfuir après avoir tiré sur le président.
Originaire de Mandiana en Haute-Guinée (Nord), formé à la faculté de médecine de l’université Gamal-Abdel-Nasser de Conakry, cet élève brillant rejoint l’armée après ses études. À quand remonte sa relation avec Dadis Camara ? Dans la capitale guinéenne, ceux qui ont bien connu les deux hommes se refusent à parler. « Il s’est fait un nom en tant que chef de la garde prétorienne après le coup d’État [de décembre 2008] », se remémore toutefois un responsable politique. Les mois qui suivent, si l’on en croit certains témoignages, Toumba verse dans le recel de voitures volées à des civils. Il serait aussi responsable du pillage du domicile de Cellou Dalein Diallo, en février 2009. « J’avais mené des enquêtes qui avaient prouvé l’implication de Toumba et de ses hommes du régiment des commandos », a déclaré à la barre Moussa Tiégboro – il dit ne pas avoir adressé la parole à Toumba depuis cet épisode.
En tant que commandant des bérets rouges, le lieutenant Diakité est aussi chargé du recrutement d’éléments loyaux au président. De nombreux jeunes forestiers seront enrôlés à Nzérékoré ou à Macenta, dans le sud du pays, pour être entraînés à Kaléah et être intégrés à l’armée. Devant les juges d’instruction, Toumba a imputé à Moussa Dadis Camara la responsabilité du recrutement de ces miliciens formés, selon lui, par des Israéliens financés par Beny Steinmetz en contrepartie de permis miniers.
Fin de cavale
S’il est un temps protégé par Moussa Dadis Camara, qui, après les évènements du 28 septembre 2009, refusera qu’il soit arrêté par l’armée aux dire de plusieurs gradés, Toumba estimera par la suite avoir été « totalement trahi ». Le 3 décembre, après avoir été entendu par la Commission d’enquête des Nations unies, il tente d’abattre Dadis Camara dans le camp militaire de Koundara, où il s’est réfugié avec ses hommes. « [Dadis] a essayé de retourner toutes les charges des évènements du 28 septembre sur ma personne », confiera l’ex-aide de camp dans un entretien accordé à RFI alors qu’il était en cavale. « Il est venu avec l’intention de m’arrêter et j’ai ouvert le feu. » Depuis, ce camp militaire a été rebaptisé Joseph-Makambo, du nom de l’officier mort en tentant de protéger le président.
S’en suivra une longue cavale qui mènera Toumba jusqu’à Dakar, tandis qu’à Conakry, ses proches et soutiens sont arrêtés et exécutés. Au Sénégal, il évite les sorties et parvient à se faire oublier. Il se fait désormais appeler Aboubacar Barry, prend du poids, se laisse pousser la barbe et mène une vie paisible dans le quartier de Ouakam. Selon un témoin qui l’a croisé dans la capitale sénégalaise, il se promène à bord d’une Ford Escape, conduite par son chauffeur. Il fréquente le salon de coiffure d’un ressortissant guinéen, à la Médina, à plusieurs kilomètres de son domicile. À chaque fois, il réserve le salon quinze minutes à l’avance et ordonne la fermeture de la porte.
À la fin de 2016, la section de recherche de la gendarmerie nationale sénégalaise est informée par la justice guinéenne qu’il se trouve à Dakar. Après plusieurs semaines de filature, il est appréhendé. Le ministre de la Justice de l’époque, Cheick Sako, l’apprend de la bouche de son homologue sénégalais, Sidiki Kaba. « Il m’a informé de l’interpellation de Toumba, qui vivait au Sénégal depuis un moment, en exécution d’un mandat d’arrêt international émis en 2010 », se souvient l’ancien ministre. Comment Toumba Diakité a-t-il réussi à passer inaperçu dans un pays limitrophe de la Guinée ? « Ce sont des choses qui arrivent, estime-t-il. Il a su rester discret et changer d’identité, d’apparence physique. » Après des années de cavale, le lieutenant sera rapidement extradé et incarcéré à Conakry.
Lors de l’ouverture du procès, il a choisi de rester debout pendant de longues heures. Sa mauvaise santé rend la position assise inconfortable, a argué son avocat. Tête baissée, l’accusé a parfois semblé somnoler. Mais il n’a pas réussi à convaincre les juges du bienfondé d’une évacuation sanitaire. Jusqu’au bout, Aboubacar Sidiki Diakité devra donc se présenter au tribunal. Il pourra bientôt livrer sa propre version des faits à la barre. Une audience qui sera, à n’en pas douter, attentivement suivie par ses co-accusés.
Jeune Afrique