Avec le lourd provisoire bilan d’une cinquantaine de morts et au moins 300 blessés selon les autorités, les manifestations du 20 octobre, sont considérées comme faisant partie des plus meurtrières de l’histoire du Tchad.
Que ce soit à N’Djamena, la capitale, ou à Moundou, la deuxième ville du pays, les manifestants qui ont suivi le mot d’ordre de l’opposition, étaient pour la plupart des jeunes. Des jeunes qui voulaient exprimer leur mécontentement, selon la militante des droits de l’homme Delphine Djiraibé.
« Les jeunes étaient sortis pour exprimer leur ras le bol (…). Et on comprend parfaitement cette jeunesse qui est debout, qui souffre de toutes les injustices sociales, qui n’a pas accès à l’emploi, qui n’a absolument rien et dont la solution est de prendre la rue pour obtenir justice et équité” explique-t-elle à la DW.
Des jeunes réprimés… les autorités justifient l’usage de la force par le fait que certains manifestants étaient armés, s’en sont pris à des édifices publics et privés dans un climat d' »insurrection”.
Si Delphine Djiraibé reconnait que des jeunes ont lancé des pierres, elle assure que ce sont des hommes en civils non identifiés, circulant en voiture, qui avaient des armes et non les manifestants.
Les jeunes au premier plan
Quoi qu’il en soit, la répression policière a été largement condamnée dans le monde. Quant aux raisons qui ont poussé les manifestants à répondre à l’appel de l’opposition, elles sont identiques à d’autres pays de la région.
» Nous observons les mêmes phénomènes un peu partout au Sahel où la population est très jeune. Et avec les difficultés économiques, l’inflation, les difficultés sur le plan politique, la jeunesse est la plus touchée et c’est elle qui est à même de se révolter pour réclamer plus de liberté, plus d’initiative en matière économique » explique Abdoulaye Diarra, chercheur pour l’Afrique centrale à Amnesty international.
Il précise par ailleurs que « lors des manifestations, il y a souvent des jeunes qui ne défendent pas les mêmes causes que les manifestants mais qui viennent pour casser ». Abdoulaye Diarra insiste toutefois sur le fait que la force ne doit être utilisée qu’en dernier recours et qu’il est urgent d’ouvrir une enquête pour établir les responsabilités.
Si les jeunes semblent prêts à en découdre, le politologue Nicodème Manatouma Kelma estime que les dirigeants politiques, les opposants en l’occurrence, se servent aussi d’eux pour défendre leurs propres intérêts.
« Dans sa lutte, l’opposition n’est jamais dans une posture philanthropique » explique-t-il. Selon lui, les opposants adoptent souvent « une stratégie politicienne, parfois individuelle d’occupation des postes » ils cherchent aussi à avoir des responsabilités « mais derrière cela, ceux qui encaissent les conséquences ce sont les jeunes ».
Si un calme précaire est de retour au Tchad, la tension est loin d’être cependant retombée. L’opposition ne renonce pas à manifester de nouveau et en dépit du danger, nombreux sont ceux qui pensent que les jeunes n’hésiteront pas à descendre une fois encore dans la rue pour dénoncer notamment le manque de démocratie, la corruption, le chômage et la pauvreté en dépit des ressources naturelles dont dispose le Tchad.
Les problèmes
La question du partage du pouvoir au Tchad divise le pays, du moins depuis la prise du pouvoir, en avril 2021, par une junte militaire dirigée par Mahamat Idriss Déby Itno, le fils du defunt président Idriss Déby.
Les Tchadiens, bien que mécontents d’une succession de père en fils, s’étaient contentés alors du discours du nouveau pouvoir militaire qui promettait de céder assez vite la place aux civils. Dans ce but, le dialogue national qui vient de s’achever était attendu par de nombreux Tchadiens. Mais ceux-ci, déçus ou bien désabusés, se sont rendu compte que ce dialogue n’a été qu’un prétexte pour maintenir au pouvoir Mahamat Idriss Déby.
« Ils se disent d’abord que le dialogue national et ses résultats ne sont pas satisfaisants car ils ne représentent pas la volonté du peuple. Mahamat Déby avait dit en 2021 qu’il allait quitter le pouvoir après 18 mois pour donner la place à la transition. Mais cela n’est pas le problème. Le problème, c’est plutôt qu’un système corrompu gouverne le Tchad » Helga Dickow, chercheuse allemande en sciences sociales et politiques, revient ainsi sur la déception des Tchadiens.
Les inégalités sociales sont aussi un problème grave au Tchad. Classé avant-dernier parmi les pays les plus pauvres du monde, le Tchad regorge pourtant d’importantes ressources naturelles. Mais, selon Ulf Lessing, directeur du programme régional Sahel de la fondation allemande Konrad Adenauer, ces richesses sont accaparées par une minorité de la population.
« Le Tchad a des ressources pétrolières mais seule une élite peut en profiter. Cela rajoute donc aux mécontentements des citoyens qui demandent une répartition de ces ressources pétrolières » explique-t-il à la DW.
La grogne sociale au Tchad concerne aussi la question du partage du pouvoir. Helga Dickow s’inquiète de la résurgence des violences ethniques, régionales et religieuses. Des tensions qu’a déjà connues ce pays dans le passé.
Selon Helga Dickow « il y a la question ethnique qui prévaut mais qui risque d’être instrumentalisée dans le sens où le chef de l’Etat et son gouvernement sont presque tous du Nord, majoritairement musulman ». Elle explique par ailleurs « que les leaders des manifestants, notamment Succès Masra et les membres de Wakit Tamma sont du Sud » et dit craindre « que ces divisions Nord-Sud, qui ont joué un rôle dans les guerres civiles des années 1960 et 1970, ne refassent surface ».
Certaines voix religieuses et de la société civile essaient d’appeler au calme, tout en demandant au gouvernement de rompre le silence sur la violence qui s’est abattue sur les manifestants.
dw