La dépression reste une énigme pour le corps scientifique. Depuis les années 1950, les chercheurs ont entrepris des travaux sur une substance issue des champignons hallucinogènes, la psilocybine, afin de soigner la dépression récalcitrante, celle qui résiste à tous les traitements classiques. Une nouvelle étude redonne de l’espoir pour les patients dans leur combat contre la maladie.
Depuis des années, les scientifiques se penchent de plus en plus sérieusement sur l’effet thérapeutique des psychédéliques, substances pourtant souvent prohibées. Toutefois, malgré cet intérêt renouvelé, les études de grande ampleur manquent encore. Mercredi, des chercheurs ont fait un pas important pour combler ce vide. Leurs travaux, publiés dans la revue scientifique NEJM, constituent le plus grand essai clinique jamais conduit pour évaluer l’effet de la psilocybine, une substance psychoactive présente naturellement dans les champignons hallucinogènes. Une dose unique de 25 milligrammes a permis de réduire les symptômes de dépression chez des personnes pour qui plusieurs traitements classiques avaient échoué, ont-ils montré.
On estime que quelque 100 millions de personnes dans le monde souffrent de dépression résistante aux traitements. Les psychédéliques représentent donc une piste pour les aider. Les chercheurs ont testé ici est une version synthétique de la psilocybine développée par la start-up Compass Pathway, ayant également financé ces essais. Au total, 233 personnes dans 10 pays y ont participé (après avoir arrêté un éventuel traitement en cours), tout en suivant un accompagnement psychologique. Elles ont été réparties en trois groupes recevant au hasard 1 mg, 10 mg ou 25 mg du traitement.
Les sessions, dans une pièce dédiée, duraient entre six et huit heures durant lesquelles les participants n’étaient jamais laissés seuls. Certains ont décrit avoir été plongés dans « un état comparable à un rêve » dont on pourrait se souvenir, a expliqué lors d’une conférence de presse James Rucker, coauteur de l’étude. Un participant a nécessité l’administration d’un sédatif durant la séance, pour cause d’anxiété. Mais les effets secondaires observés (maux de tête, nausées, anxiété…) étaient généralement modérés et disparaissaient rapidement.
Efficacité, innocuité et effets secondaires de la psilocybine
Trois semaines après, les patients ayant reçu 25 mg démontraient une amélioration significative de leur état comparé aux doses inférieures, selon une mesure de référence pour la dépression. Un peu moins de 30 % d’entre eux étaient en rémission. « Il s’agit de la preuve la plus solide jusqu’ici que d’autres essais plus grands et plus longs évaluant des psychédéliques sont justifiés, et que la psilocybine pourrait (un jour) fournir une alternative potentielle aux antidépresseurs prescrits depuis des décennies », a commenté Andrew MacIntosh, professeur en psychiatrie à l’Université d’Édimbourg, non impliqué dans l’étude.
A single 25-mg dose of psilocybin was more effective than a 1-mg dose at alleviating treatment-resistant depression over a period of 3 weeks. The effect was attenuated at 12 weeks. https://t.co/sM1mISArvb pic.twitter.com/9YRaxfcpNT
— NEJM (@NEJM) November 2, 2022
Ces essais, dits de phase 2, étaient destinés à déterminer le dosage et confirmer l’existence d’un effet approprié. Des essais de phase 3, sur davantage de participants, doivent commencer cette année et s’étendre jusqu’en 2025. La start-up est déjà en lien avec l’Agence américaine des médicaments (FDA) et d’autres régulateurs en Europe.
Mais « nous n’en savons pas encore assez sur les effets secondaires potentiels, en particulier si certaines personnes pourraient voir une aggravation de leurs symptômes », a nuancé Anthony Cleare, professeur de psychopharmacologie à Londres, qui n’a pas participé à l’étude. Lors des essais, trois participants ont présenté un comportement suicidaire parmi ceux ayant reçu 25 mg, contre aucun dans les autres groupes.
Ces événements ont toutefois eu lieu plus de 28 jours après le traitement, a souligné Guy Goodwin, professeur de psychiatrie à Oxford et responsable chez Compass Pathways. « Notre hypothèse est que cette différence est liée au hasard (…), mais nous ne pourrons le savoir qu’en faisant davantage d’expériences », a-t-il déclaré. La question de l’effet dans la durée reste également en suspens, celui-ci s’étant estompé lors du suivi des participants trois mois plus tard. Des doses répétées pourraient être nécessaires. Deux doses seront testées lors des prochains essais, a précisé Guy Goodwin.
Des régions du cerveau qui communiquent mieux
La prise de psilocybine entraîne une hausse de dopamine (connue pour réguler l’humeur) et d’un autre neurotransmetteur qui pourrait favoriser la plasticité cérébrale, a expliqué James Rucker. « Quand le cerveau est dans un état de plus grande flexibilité, cela ouvre ce que l’on considère comme une fenêtre d’opportunité thérapeutique qui, dans le contexte d’un suivi médical et d’une psychothérapie, peut permettre de susciter des changements positifs chez les gens », a-t-il dit.
La psilocybine favorise « davantage de communications entre les régions du cerveau », a ajouté Nadav Liam Modlin, également coauteur de l’étude. La psilocybine — qui n’est pas addictive — est également étudiée pour d’autres pathologies : stress post-traumatique, anorexie, anxiété, addictions…
En 2020, l’État de l’Oregon a voté en faveur de l’usage thérapeutique de la psilocybine. Des exemptions ont aussi par exemple été accordées au Canada. Mais cette tendance de fond est aussi parfois couplée à la promotion de la légalisation pure et simple des hallucinogènes, a relevé Bertha Madras, professeure de psychologie à Harvard, dans un éditorial également publié par NEJM. Des « magasins ou « cliniques » psychédéliques pourraient alors proliférer, également pour les populations vulnérables », a-t-elle mis en garde.
FUTURA