Pas d’investissements nouveaux dans les énergies fossiles, pas de «compensation» à tout va, pas de déforestation : un rapport de l’ONU dévoile des recommandations pour éviter la fausse «neutralité carbone» des acteurs non étatiques.
Fini les entourloupes pour faire croire que l’on agit en faveur du climat. La neutralité carbone n’est pas une promesse en l’air pour se repeindre en vert, mais une condition essentielle pour trouver un équilibre entre le CO2 émis et celui qui est absorbé afin de contenir le réchauffement de la planète. «Nous ne devons avoir aucune tolérance pour le greenwashing sur la neutralité carbone», a martelé ce mardi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
De plus en plus d’entreprises, d’investisseurs, de villes, de régions, promettent d’atteindre la neutralité carbone d’ici au milieu du siècle. Des engagements avec souvent «des failles assez grandes pour y faire passer une citerne de diesel», a commenté le secrétaire général. Un groupe de 17 experts de l’ONU, le HighLevel Expert Group on Net Zero (HLEG), a planché pendant sept mois pour évaluer le degré de crédibilité des acteurs non étatiques qui s’engagent à la neutralité carbone. Dans son rapport publié ce mardi à l’occasion de la COP 27, il liste dix recommandations qui tracent des «lignes rouges» contre le greenwashing d’acteurs privés.
Arrêter avec les énergies fossiles
Pour êtres crédibles, les acteurs qui prônent la neutralité carbone doivent s’éloigner des «activités destructrices de l’environnement», en particulier tout ce qui peut entraîner de la déforestation, et sortir progressivement des énergies fossiles responsables du réchauffement de la planète. Villes, régions, organismes financiers et entreprises «ne peuvent pas revendiquer la neutralité carbone tout en continuant à construire ou investir dans de nouvelles sources d’énergies fossiles», insiste le rapport, qui souligne que les deux sont «incompatibles». «Utiliser des engagements à la neutralité carbone factices pour couvrir des expansions massives dans les énergies fossiles est répréhensible, a insisté Antonio Guterres. Cette tentative de dissimulation toxique pourrait faire tomber le monde de la falaise climatique. Cette imposture doit prendre fin.»
Tous les engagements doivent en effet respecter les scénarios des experts climat de l’ONU (Giec) qui estiment que, pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, l’usage du charbon sans capture de carbone (une technologie non mature à grande échelle) devrait être totalement stoppé, et ceux du pétrole et du gaz réduits de 60 % et 70 %, respectivement, d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 2019.
«Au moment où les banques soi-disant neutres en carbone déversent des milliards dans des nouveaux projets d’énergies fossiles, il est particulièrement encourageant que le groupe mette les choses au point», a réagi Lucie Pinson, de l’ONG Reclaim Finance. «Si vous êtes une entreprise du secteur des énergies fossiles, il est probable que vous deviez repenser le cœur de votre modèle», commente de son côté un haut responsable de l’ONU, notant que certaines ont commencé leur transition vers les renouvelables.
«Tournant décisif pour le lobbying des entreprises»
Autre condition indispensable pour un objectif crédible de neutralité carbone : réduire en priorité et le plus possible les émissions de gaz à effet de serre. Et non pas les compenser en achetant des «crédits carbone», en finançant par exemple des projets de reforestation ou de développement des énergies renouvelables. Ces bonnes actions ne dédouanent pas d’agir vraiment pour réduire les émissions. «Vous ne pouvez pas simplement acheter des crédits carbone bon marché» et qui manquent parfois d’«intégrité», souligne auprès de l’AFP Catherine McKenna, présidente du groupe d’experts. Planter des arbres est par exemple une opération délicate et cela ne signifie pas que la forêt va absorber du CO2 éternellement (elle peut prendre feu, être coupée…) pour compenser les émissions d’entreprises aux activités polluantes.
Le rapport estime également que les promesses à long terme doivent être accompagnées par un plan précis, avec des objectifs pour chaque période de cinq ans. Elles doivent aussi couvrir toutes les activités d’une entreprise : activités directes (scope 1), consommation d’électricité et de chaleur (scope 2) mais aussi toutes les émissions indirectes en amont et en aval de la production, jusqu’à l’essence consommée par les automobilistes pour une compagnie pétrolière (scope 3).
Aujourd’hui, environ 90 % du PIB mondial est couvert par des promesses de neutralité carbone, selon la plateforme Net Action Tracker élaborée par plusieurs centres de recherches. Mais beaucoup de ces promesses «ne sont pas à la hauteur» et d’autres «ne fournissent même pas de données», souligne Catherine McKenna. Alors le message envoyé aux PDG ou aux maires «est clair», souligne Antonio Guterres : «Respectez ces normes et révisez vos lignes directrices dès maintenant, au plus tard d’ici à la COP28», dans un an.
Il a également appelé les gouvernements à «construire un cadre réglementaire» à partir de ces recommandations. «L’annonce d’aujourd’hui est un tournant décisif pour le lobbying des entreprises qui a longtemps fait obstacle à l’action des gouvernements», s’est réjoui Will Aitchison, du centre de réflexion Influence Map.
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