Depuis trois décennies déjà, les représentants des gouvernements du monde entier se réunissent autour d’une table chaque année pour parler climat. Ils signent des accords et fixent des objectifs. Mais la Planète continue de se réchauffer. Rencontre avec François Gemenne, l’un des auteurs du sixième rapport du Giec, qui nous livre des pistes, optimistes, pour faire bouger les lignes.
Le coup d’envoi de la COP27 (27e Conférence des parties signataires de la Convention-Cadre de l’Organisation des Nations unies sur les changements climatiques) vient tout juste d’être donné du côté de Charm el-Cheikh (Égypte). Alors même que vous venons de vivre les huit années les plus chaudes jamais enregistrées sur notre planète…
« Sincèrement, il ne faut pas trop attendre de cette COP27 », nous confie François Gemenne. Il sait de quoi il parle. Parce qu’il est politologue et chercheur spécialisé dans les questions du climat. L’un des co-auteurs du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) aussi. Et l’auteur très récemment de L’écologie n’est pas un consensus, paru aux éditions Fayard.
Il ne faut pas en attendre grand-chose, de cette COP27 ? Chaque année, de nouveaux objectifs sont pourtant fixés. Toujours plus ambitieux. « Parce que les États ne parviennent pas à tenir leurs engagements. C’est pour ça qu’ils reviennent chaque année avec des objectifs revus à la hausse… et qu’ils ont de plus en plus de mal à tenir », souligne François Gemenne. Et alors qu’à la veille de la COP26 qui s’était tenue à Glasgow (Écosse), l’année dernière, les planètes semblaient alignées, « la situation dans laquelle se trouve le monde aujourd’hui est, au contraire, extrêmement délicate. Il y a d’abord la guerre en Ukraine. Puis la Chine qui a suspendu son partenariat stratégique sur le climat avec les États-Unis l’été dernier. Enfin, la crise énergétique. Trois difficultés majeures qui vont rendre les négociations on ne peut plus difficiles. »
« Pourtant, ce rendez-vous est et demeure incontournable. Les gouvernements doivent continuer à se réunir. Parce qu’aucun pays ne peut prétendre lutter seul contre le changement climatique. La coordination des efforts, la coopération internationale est une condition sine qua non. »
Il faudrait de petites victoires chaque année
« Reconnaissons-le. Jusqu’à aujourd’hui, les COP ont surtout été des sortes de machines à produire de la déception et de la désespérance, déplore François Gemenne. Maintenant, il faut absolument inverser cette dynamique. »
Bien sûr. Mais comment ?
L’une des pistes proposées par le chercheur, c’est celle « des petites victoires ». « On devrait arrêter avec ces objectifs de moyen et de long terme. Des objectifs qui vont au-delà des mandats de ceux qui les fixent et par rapport auxquels ils n’auront donc pas de comptes à rendre. Fixons plutôt des objectifs de plus court terme. Engageons-nous sur l’année à venir. Et retrouvons-nous à la COP28 pour voir où nous en sommes. Parce que rendre des comptes, c’est l’un des principes fondamentaux de la démocratie tout comme de la gouvernance des entreprises. C’est juste une question d’optique et de perspectives dans la négociation.
Mais ça encourage les États à tenir leurs engagements. Et ça permet de créer une dynamique. Parce que je crois vraiment qu’on a besoin aujourd’hui, en tant que société, de s’accrocher à de petites victoires. Je préfère d’ailleurs que l’on fixe des objectifs modestes, mais qui seront tenus, plutôt que de partir sur des objectifs grandiloquents qui sont hors d’atteinte. Dans un an, on se dira : « Voilà, ça, on l’a réussi. Et puisqu’on l’a réussi, on peut fait mieux pour l’année prochaine ». On s’engagera alors dans un cercle vertueux. » À mille lieues de celui sur lequel nous nous plaçons volontiers aujourd’hui. Celui du désespoir et du découragement.
Autre piste, celle de la trajectoire. « Tous ceux qui ont déjà voulu perdre du poids savent de quoi je veux parler. Si vous vous fixez comme objectif de perdre 10 kilos en 5 ans, ces 10 kilos ne vont pas se perdre comme par magie. Il vous faudra établir un programme diététique et prévoir quelques exercices physiques. Pour le climat, c’est un peu la même chose. Si des trajectoires ne sont pas adossées aux objectifs fixés à la COP, il ne se passera rien. »
Troisième piste, enfin, évoquée pour nous par François Gemenne, celle de la responsabilité. « Nous avons une responsabilité historique indéniable dans ce qui arrive à notre climat. Il est temps de l’assumer. Se convaincre que les Chinois ne font rien et qu’il est donc inutile de faire des efforts de notre côté, c’est facile. Mais c’est faux. Les émissions de la Chine sont réellement en baisse. La puissance photovoltaïque que le pays a installée depuis le début de l’année 2022, par exemple, est supérieure à celle installée aux États-Unis. Et puis, l’enjeu n’est pas de se demander ce que nous pouvons faire, chacun de notre côté, mais bien de voir ce que nous pouvons faire ensemble.
Les pays du sud, par exemple, ont besoin d’aide pour leur propre atténuation. La plupart n’ont ni les moyens ni les technologies pour développer les énergies renouvelables (EnR). Pourtant, ces pays vont avoir besoin de fournir de l’énergie à leurs populations. Si nous ne mettons pas le paquet sur les transferts de technologies et sur les investissements dans les EnR dans ces pays, nous risquons qu’ils se tournent… vers les énergies fossiles. Ce serait catastrophique. »
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