Quelles sont les dynamiques qui se sont mises en place dans les écrits de propagande antisémite en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale ? Des linguistes ont analysé les textes.
Des posters de haine par centaines, des pamphlets antisémites, des journaux, des discours politiques… Alexander Landry, linguiste à l’école de commerce de Stanford (Californie, États-Unis), et ses deux collègues ont entrepris la lourde tâche d’analyser les textes de responsables et sympathisants nazis avant et pendant l’Holocauste. Ils publient leurs résultats dans l’édition du 9 novembre de Plos One.
La propagande nazie a évolué au fil du temps
Spécifiquement, les chercheurs ont tenté de déterminer si le portrait des Juifs tel que dépeint par la propagande nazie avait évolué au fil du temps. Et notamment de vérifier si, comme le pensent certains historiens, la déshumanisation est indissociable du meurtre de masse, renforçant la violence en ôtant toute inhibition morale au fait de tuer d’autres humains.
Résultat de leurs analyses fouillées de la propagande antisémite durant la période 1927-1945 : la déshumanisation est effectivement un facteur important. Mais cette notion a profondément changé de sens lorsque la solution finale fut mise en place puisqu’il s’agissait désormais de dépeindre les Juifs comme une menace pensante et organisée, renforçant l’idée d’un pouvoir occulte qui dirige le monde en sous-main et qu’il faut donc éliminer.
Les auteurs spéculent qu’au moment de l’invasion soviétique, et de la débâcle qui s’en suivit, le double sentiment que les Juifs étaient derrière la résistance soviétique, tandis que ceux d’Allemagne conspiraient pour poignarder la population dans le dos à la première occasion, ne fit que grandir. Au moment également où l’effort de guerre commençait à décliner, il était important que les politiques génocidaires montent en puissance pour contrer ce qui était perçu comme la menace juive.
Une « démonisation » pour abaisser les barrières morales des bourreaux
De fait, relèvent les auteurs, les termes liés à la supposée menace en question devinrent plus nombreux après la mise en place de l’Holocauste. Si, auparavant, les termes les désignant étaient majoritairement associés à des mots comme “responsables“ “but“ ou “infernal“, après l’Holocauste, le ton change radicalement. Désormais, la propagande antisémite les décrit principalement comme “haïs“, “intelligents“. Figurent également dans la liste, les termes “sadique“, “cynique“, “arrogant“. Les auteurs spéculent que cette bascule pourrait refléter le malaise progressif des bourreaux et leurs traumatismes subséquents devant lesquels la propagande a dû s’ajuster.
Désormais, les Juifs seront de moins en moins des animaux nuisibles, et de plus en plus dépeints comme des entités maléfiques qui ne veulent qu’éradiquer les autres. Comme les auteurs le supposent : cette “démonisation“ a pu abaisser les barrières morales de certains contre les violences, leur procurant une raison palliative de recourir au meurtre de masse. En dépeignant les Juifs comme intentionnellement malveillants, la propagande nazie a pu permettre la perpétuation des atrocités. Ainsi que de focaliser l’attention de la population sur les intentions des Juifs et de se préparer à la menace directe qu’elle serait censée percevoir…
Et les auteurs de conclure qu’effectivement, jusqu’à l’Holocauste, la propagande nazie a nié progressivement aux Juifs la capacité d’éprouver des émotions humaines. Toutefois, durant l’Holocauste, cette entreprise de déshumanisation s’est transformée. D’animaux (rats ou nuisibles comme les nommait la propagande), les Juifs sont devenus des démons maléfiques, capables de s’organiser de par le monde, de tirer les ficelles en coulisses.
Pour les chercheurs, cela démontre que les dynamiques de déshumanisation associées aux meurtres de masse peuvent évoluer au fil du temps et des évènements, et ont parfois besoin d’être nuancées et mieux interprétées.
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