Combien de réacteurs nucléaires du parc français sont actuellement à l’arrêt ?

Actuellement, 25 des 56 réacteurs du parc nucléaire français sont encore à l’arrêt, une situation qui dure depuis le printemps 2022. Cette situation est principalement causée par la détection récente de corrosion sous contrainte dans plusieurs réacteurs, mais pas seulement !

Septembre 2021, de la corrosion sous contrainte était découverte dans un des réacteurs de la centrale de Civaux. Depuis, de nombreux réacteurs ont été mis à l’arrêt afin de contrôler si de la  était présente aux mêmes endroits. Sur les 56 réacteurs du parc nucléaire français, 27 étaient à l’arrêt cet été, entre les visites décennales, les arrêts pour rechargement, et cette fameuse corrosion sous contrainte qui a causé l’arrêt de 12 d’entre eux pour des contrôles.

Aujourd’hui, de nombreux réacteurs n’ont toujours pas redémarré, 25 sont ainsi toujours à l’arrêt, mais une dizaine devraient repartir d’ici début décembre 2022. Quelles sont les causes de toutes ces indisponibilités de réacteurs ?  Dubois, directeur adjoint de l’expertise de sûreté à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a accepté de répondre aux questions de Futura à ce sujet.

« C’est une situation inédite, qui a plusieurs facteurs »

C’est durant les beaux jours que commencent traditionnellement les arrêts pour maintenance et rechargement du combustible nucléaire : après l’arrêt du réacteur et son refroidissement progressif pendant quelques jours, le combustible usé est placé en piscine de refroidissement sur le site de la centrale tandis qu’un combustible neuf est placé dans la cuve. Au total, ce processus prend au moins un mois, et jusqu’à six mois si des travaux sont prévus en même temps. C’est pourquoi certains réacteurs ne sont toujours pas redémarrés, pour des contrôles et réparations supplémentaires.

« Les arrêts pour rechargement sont souvent effectués dès le début du printemps, car les besoins d’électricité sont moindres qu’en plein hiver, explique Olivier Dubois. Ils suivent ensuite durant l’été, période pendant laquelle les besoins en électricité sont au plus bas ».

Lors d'un arrêt pour rechargement, le réacteur est mis à l'arrêt puis refroidi progressivement pour que la cuve puisse être ouverte, et le combustible retiré. © IRSN

LORS D’UN ARRÊT POUR RECHARGEMENT, LE RÉACTEUR EST MIS À L’ARRÊT PUIS REFROIDI PROGRESSIVEMENT POUR QUE LA CUVE PUISSE ÊTRE OUVERTE, ET LE COMBUSTIBLE RETIRÉ. 

 

« Mais actuellement c’est une situation inédite, et qui a plusieurs facteurs. Environ la moitié des réacteurs sont à l’arrêt, précise Olivier Dubois. La raison principale est la corrosion sous contrainte découverte sur certains circuits, mais il y a aussi les visites décennales prévues des réacteurs de 900 MWe (mégawatt électriques) ainsi que celles de certains réacteurs de 1 300 MWe ».

Le prolongement des réacteurs de 900 MWe prend du temps

Ces visites décennales ont pour but de contrôler chaque élément du réacteur, afin de prolonger, ou non, sa  de vie de dix ans. « EDF effectue une grande batterie de tests, que l’IRSN et l’ASN vérifient ensuite. Les contrôles vont de l’ancrage des tuyauteries pour la tenue en cas de , au contrôle de la cuve, qui est un composant non remplaçable », explique Olivier Dubois.

Car c’est dans la cuve que se déroulent les réactions de fission nucléaire, elle est conçue pour supporter des irradiations importantes, et doit être particulièrement robuste. Elle subit de plus des conditions élevées de  et température, avec une température de l’eau qui circule autour du combustible d’environ 300 °C et une pression de 155 fois celle de l’ !

« EDF utilise une machine d’inspection en service (MIS), qui va vérifier qu’il n’y a soit pas de défauts dans la cuve, soit pas d’évolution de défauts connus. Certaines cuves sont connues pour avoir des défauts depuis leur fabrication : des fissures fermées, invisibles à l’ nu, mais présentes sous le revêtement de la cuve. Elles correspondent à une zone où les grains du métal ne sont pas collés les uns aux autres », ajoute Olivier Dubois.

Un récupérateur de corium se situe juste sous la cuve dans le cas de l'EPR. Pour les réacteurs actuellement en service, un dispositif de stabilisation du corium est implanté, légèrement différent du récupérateur. © Art Presse, IRSN

UN RÉCUPÉRATEUR DE CORIUM SE SITUE JUSTE SOUS LA CUVE DANS LE CAS DE L’EPR. POUR LES RÉACTEURS ACTUELLEMENT EN SERVICE, UN DISPOSITIF DE STABILISATION DU CORIUM EST IMPLANTÉ, LÉGÈREMENT DIFFÉRENT DU RÉCUPÉRATEUR.
 

Comme les réacteurs de 900 Mwe arrivent à 40 ans de fonctionnement, le but d’EDF est de prolonger cette durée jusqu’à 50, voire 60 ans. « Une des grandes modifications des réacteurs de 900 Mwe est d’intégrer un stabilisateur de  (cœur fondu), en cas d’ similaire à celui de Three Mile Island survenu en 1979. On veut s’assurer qu’en cas de percement de la cuve par le corium il puisse s’étaler correctement dans une zone suffisamment grande pour refroidir et ne pas percer le radier en  du réacteur, indique le directeur adjoint de l’IRSN. Mais les modifications associées aux 4e visites décennales des réacteurs de 900 MWe prennent de nombreux mois : certains ont déjà bénéficié des modifications, tandis que l’objectif d’EDF est qu’ils « aient tous passé leur visite décennale d’ici à 2027, puis viendra le tour des réacteurs de 1 300 MWe, plus récents ».

Si les visites décennales sont prévues et calées pour optimiser le fonctionnement du parc nucléaire, la corrosion a, elle, changé la donne, notamment après les effets de l’ de Covid. Mais à quoi correspond-elle ? « C’est durant la visite décennale de Civaux 1 qu’elle a été décelée, grâce à des contrôles par ultrasons qui permettent de vérifier la présence de défauts dans les tuyauteries au niveau des soudures », explique-t-il.

La corrosion sous contrainte correspond à l’endommagement d’un  sous l’effet de son environnement chimique. « Là où EDF a trouvé des fissures de corrosion sous contrainte, les tuyauteries étaient en , donc les experts ne s’y attendait pas a priori, poursuit Olivier Dubois. Les fissures se situent au niveau du circuit d’injection de sécurité, qui permet de continuer à refroidir le réacteur en cas de brèche du circuit primaire : plus précisément, au niveau de sa jonction avec le circuit primaire ».

La corrosion sous contrainte a été trouvée près de soudures, au niveau des tuyauteries qui relient l'injection de sécurité (RIS) au circuit primaire principal (CPP). © IRSN

LA CORROSION SOUS CONTRAINTE A ÉTÉ TROUVÉE PRÈS DE SOUDURES, AU NIVEAU DES TUYAUTERIES QUI RELIENT L’INJECTION DE SÉCURITÉ (RIS) 
 

Comme l’explique le  directeur adjoint de l’IRSN, Olivier Dubois, la corrosion a d’ailleurs très probablement été activée justement à cause de cette proximité avec le circuit primaire. En effet, la température y avoisine les 300 °C, ce qui peut activer la corrosion. « Les défauts se situent à proximité de soudures, directement au niveau de la tuyauterie. Ils ne sont pas liés à l’âge du réacteur, car présents notamment sur les réacteurs les plus récents du parc nucléaire, les N4, mais probablement liés au chargement mécanique qui s’exerce sur les soudures ». L’exploitant EDF a annoncé des réparations sur les réacteurs touchés, mais qui pourraient prendre de quelques mois jusqu’à plusieurs années pour être finalisées à l’échelle du parc nucléaire français, et en fonction de la liste de réacteurs affectés qui sera établie à l’issue de l’ensemble des contrôles.

futura

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