Officiellement, en 2020, on recensait 822 cas de viol et 152 cas d’agression sexuelle dans tout le pays. Des statistiques largement sous-estimées, selon la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Et derrière ces statistiques se cache une réalité bien dure : une prise en charge complexe et une société encore distante avec les victimes. Rencontre à Bonoua avec Cynthia, une jeune femme qui se reconstruit progressivement, près de dix ans après son agression, épaulée par son mari.
Les faits se sont produits en 2013. Cynthia a alors 24 ans. Sac à main sur l’épaule, la jeune femme rentre du travail, lorsqu’elle se retrouve prise au piège par un groupe d’hommes qui la violent et l’assènent de coups. Puis c’est l’écran noir. À son réveil, Cynthia est paralysée… allongée sur un lit d’hôpital.
« J’ai été plongée dans le coma pendant trois mois, au centre hospitalier de Yopougon, explique Cynthia. Après le coma, je me suis réveillée. J’avais perdu l’usage de la parole. Après neuf mois d’hospitalisation, je suis rentrée à la maison. C’est en famille que la mémoire a commencé à revenir un petit peu ». Cynthia doit quasiment tout reprendre à zéro : apprendre à parler, à se lever, à tenir une tasse…
Ces deux dernières années, Cynthia bénéficie d’un suivi médical quasiment complet au centre Don Orione de Bonoua, situé à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Abidjan. Ce centre a été créé en 1979 par le père Angelo Girolami pour accompagner les personnes handicapées.
Un lent travail de reconstruction physique
Désormais, cette structure à but non lucratif, soigne près de 300 pathologies, avec une équipe de spécialistes. À l’image de Rémus Koffi : en douze années d’expérience, ce kinésithérapeute n’avait pas encore reçu un patient dans un tel état. « Quand Cynthia est venue, on a fait un bilan, pour voir l’ensemble des déficiences qu’elle a au niveau de tout le corps, puisqu’elle a une tétra-paralysie. Cela veut dire que ses quatre membres étaient paralysés, se souvient le kinésithérapeute. On faisait des « mobilisations » : les « mobilisations » consistaient à prendre chaque membre, à faire des mouvements, on les soulevait… on pliait, on tend… les mains, les bras. C’était vraiment pénible. Il y a eu des moments où elle pleurait. Elle a pleuré fort. Mais cela ne nous a pas empêchés de faire le travail ».
Les progrès de Cynthia sont lents. Mais la jeune femme, âgée de 34 ans aujourd’hui, reste déterminée. « Au départ, j’étais dans un fauteuil roulant. Ensuite, j’ai eu une fille. Cinq ans après, j’ai été enceinte à nouveau. Je me déplaçais avec une canne. Et après ça, j’ai commencé à utiliser un déambulateur. C’est lent… mais ça va un peu, un peu. Quand ça ne va pas, ajoute-t-elle, je regarde mes enfants, je regarde aussi mon mari et cela me donne la force de pouvoir devenir comme avant, pour mieux prendre soin d’eux ».
Son mari a été son premier soutien. Peu après son agression, Achim Guela Flan s’est accroché jour et nuit, malgré le regard de plus en plus distant de la société. Pas question pour lui de rejeter sa femme. « Elle a fait trois mois de coma profond. Quand elle s’est réveillée, elle criait [de douleur, NDLR]. Elle a crié au moins pendant deux mois. Dix ans en arrière, j’étais alors dans la vingtaine : on me disait que non, tu ne vas pas passer tout ton temps, il faut la laisser quelque part là-bas et puis venir chercher de l’argent. Mais ce n’était pas l’argent… Je me dis que c’est ma présence qui va la faire rêver… C’est-à-dire que quand elle va se réveiller du coma, la première personne qu’elle va avoir envie de voir, ce sera moi. Donc il fallait que je sois là. »
Une ONG pour soutenir les femmes victimes de violences
Cynthia voudrait désormais soutenir les autres femmes victimes de violences. Avec son mari, elle a créé, il y a quelques mois, une ONG qui regroupe déjà 217 personnes. Parmi elles, de nombreuses autres victimes en quête de soutien moral. Mais le but, c’est surtout de parler aux jeunes pour éviter que ce type d’agression ne se reproduise. « On veut commencer d’abord par la racine : dire aux plus jeunes, que la femme, elle n’est pas un tamtam, souligne Achim Guela Flan. On ne doit pas la battre comme on le veut. On ne doit pas la violenter. Nous allons d’abord commencer par la sensibilisation. Elle va parler avec eux. C’est une mission. Il y a une vie après le viol. »
Neuf ans après les faits, Cynthia ignore toujours l’identité et les motifs de ses bourreaux : malgré une plainte déposée après son agression, elle n’a pas de nouvelles de son dossier judiciaire.
rfi