ABLAYE CISSOKO ET CYRILLE BROTTO, le mariage fructueux de la kora et de l’accordéon

Ablaye Cissoko et Cyrille Brotto ont composé ensemble un album original et mélodieux, touché par la grâce, et qui forme en même temps un très bel éloge au métissage et à la différence. Rencontre avec deux homme sereins et apaisants, à l’image de leur album. 

Comment une kora et un accordéon peuvent-ils se rencontrer ?

Ablaye Cissoko : Je pense que les humains sont appelés à se rencontrer, comme les instruments aussi. On ne s’y attend pas. Ce sont deux cultures différentes, deux histoires différentes, mais on a des histoires en commun aussi. Et on arrive à s’accorder, à s’entendre, à trouver un accord ensemble.

Comment cet album a-t-il vu le jour ?

Cyrille Brotto : Tout est parti du moment où ma chérie m’a fait découvrir l’album d’Ablaye. On a eu l’occasion d’inviter Ablaye pour un concert privé dans notre salon, et on a décidé de jouer un morceau. Ça a été une photographie de ce partage à cet instant-là.

Combien de temps l’enregistrement de l’album vous a-t-il demandé ?

Ablaye Cissoko : Pour nous, le plus important, ce n’est pas le temps de l’enregistrement. Si aujourd’hui on devait réengistrer les chansons, on l’aurait fait en une journée. L’enregistrement nous a pris trois journées et demi, on a pris vraiment le temps, on n’était pas dans la précipitation. On enregistrait juste une chanson, après on allait manger, on prenait des verres, on revenait, dans une belle ambiance. On a plus parlé et mangé que fait de la musique (rires) ! On l’a fait sans aucune pression, mais ça s’est très bien passé, dans une très bonne ambiance.

Comment avez-vous déterminé le nombre de morceaux, et l’ordre ?

Ablaye Cissoko : On n’a pas vraiment décidé, on aurait pu rajouter plus ou faire moins aussi, peut-être. L’ordre s’est décidé de manière très naturelle. En dehors de nous, on a aussi d’autres oreilles, le management, l’ingénieur du son, qui ont tous des oreilles musicales aussi. Chacun fait son ordre de son côté.

Cyrille Brotto : C’est bien d’avoir des personnes de référence. Ça fait toujours du bien de prendre un peu de recul par rapport à sa pratique musicale.

Pourriez-vous nous parler de la chanson « Dem Dem » ?

Ablaye Cissoko : Ce sont des jeunes qui veulent partir pour avoir une vie meilleure. Ils sont tout de suite soutiens de famille, ils ont envie aussi d’aider leurs parents coûte que coûte à quitter leur village ou leur pays pour aller voir ailleurs, en pensant trouver un endroit mieux que le leur. Ils prennent des pirogues, il y en a qui arrivent, d’autres qui arrivent en cadavres.

Certaines familles jusqu’à présent n’arrivent pas à faire leur deuil, et ça c’est très douloureux, parce que, parfois, ils n’ont aucune nouvelle. Cet océan-là c’est un autre monde, on ne sait pas ce qui est de l’autre côté. Même si on sait nager, quand on tombe dans certains endroits, on n’a aucune chance de s’en sortir. Il faut qu’on arrive à trouver des solutions. Et ce grand fléau-là touche tout le monde, même au-delà de l’Afrique. Il faut qu’on en parle, il faut qu’on ouvre les yeux.

Quels sont les thèmes dominants de l’album ?

Cyrille Brotto : On fait une proposition artistique avec des morceaux, un répertoire, une couleur musicale, et puis après chaque personne qui l’écoute va trouver quelque chose qui va lui plaire de manière différente.

Ablaye Cissoko : Toutes les pièces ont leur caractère, et ce sont des pièces qui se complètent. Quand on parle d’ « Instant », il faut vivre l’instant. Chacun appréciera, mais nous, on dira que chaque morceau a ses caractéristiques, ses caprices, ce sont nos enfants.

Vous venez d’une grande famille de griots, peut-on ainsi dire que votre destin était tout tracé ?

Ablaye Cissoko (rires) : Ca m’en a tout l’air, et je suis vraiment heureux d’être né dans cette famille, avec cette belle culture qui me fascine de jour en jour ! C’est un destin très chanceux, on va dire ça !

Vous avez également collaboré avec le trompettiste allemand Volker Goetze et l’ensemble canadien Constantinople. Aimez-vous travailler avec des musiciens venant d’univers musicaux très éloignés du vôtre ?

Ablaye Cissoko : Oui, je pense que la vie n’est faite que de rencontres. Certaines marchent, d’autres ne marchent pas. En ce qui me concerne, ce sont des rencontres qui m’ont amené à un certain niveau et qui m’ont fait grandir sur le plan musical. Je suis quelqu’un qui aime les rencontres. Certains ont des facilités pour aller seul. Peut-être je pourrais le faire, mais je trouve les rencontres plus intéressantes, et je me sens plus à l’aise dans ce cadre-là. J’aime ces moments de partage, et j’aime quand je sens que je peux apporter quelque chose à la personne. Et je veux vraiment découvrir la façon de chanter et de faire la musique des autres, ça m’enrichit davantage. Et si j’avais le choix, je resterai toujours sur cette ligne.

Une école de kora

Ablaye, vous avez créé une école pour les apprentis koraïstes, pourriez-vous nous en parler ?

Ablaye Cissoko : C’est une école qui existe depuis quelques années maintenant, ça va faire sept ans. C’est une école d’initiation à la kora, et c’est un rêve qui s’est réalisé d’avoir réussi à rendre la kora accessible aux jeunes enfants, autant aux garçons qu’aux filles. C’est quelque chose qui me tenait vraiment à cœur, et je suis très content de cette évolution extraordinaire. Les jeunes avec lesquels on travaille depuis quelques années commencent en plus à tutoyer les scènes, comme on dit. Il faudrait qu’il y ait davantage d’espaces dans lesquels on pourrait vraiment apprendre à jouer de la kora.

africavivre

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