Les Vingt-Sept n’ont pas réussi à se mettre d’accord, lundi, sur les contours de l’embargo sur le pétrole russe qui doit entrer en vigueur le 5 décembre. Il s’agissait de fixer un prix plafond pour le brut russe exporté par voie maritime. Mais personne ne sait où placer ce tarif pour faire tarir les pétro-revenus russes sans pour autant faire flamber les prix de l’énergie sur le marché mondial.
Le pétrole russe continue encore et toujours à être une épine dans le pied de la communauté internationale et de l’Union européenne en particulier. Les pays européens ont ainsi échoué, lundi 28 novembre, à plafonner les prix du baril de brut russe transporté par tanker. La plupart des pays voulaient un plafond plutôt élevé – aux alentours de 65 à 70 dollars le baril de Brent – tandis que la Pologne et les pays Baltes se battaient pour un prix plus proche de 30 dollars.
Il faut dire que les Vingt-Sept s’essayaient à un délicat exercice d’équilibriste : tomber d’accord sur un prix suffisamment bas pour heurter les rentrées d’argent russes qui permettent à Vladimir Poutine de financer sa guerre, sans pour autant priver le marché mondial de tout l’or noir russe, ce qui ferait dangereusement flamber les prix de l’énergie.
Peur d’une envolée des prix du pétrole
Cette bataille pour un plafond tarifaire sur les exportations russes de pétrole par tanker se déroule déjà depuis plusieurs mois à l’échelle mondiale. Avant l’été, « l’Europe avait adopté un volet de sanctions qui prévoyaient un embargo sur les exportations russes de pétrole », souligne Simone Tagliapietra, spécialiste des questions de politique énergétique européenne à l’Institut Bruegel.
Le dispositif imaginé alors, qui doit entrer en vigueur le 5 décembre, prévoyait deux volets : l’arrêt des importations de pétrole russe sur le sol européen et des mesures pour rendre plus compliquée la redirection de ses exportations vers des pays tiers, tels que la Chine ou l’Inde.
C’est ce second pan des sanctions qui se retrouve au cœur de la bataille actuelle du plafond du prix. Les Européens avaient d’abord prévu d’interdire aux assureurs européens (parmi les plus importants au monde) d’assurer des pétroliers russes. Sans ce sésame, pas possible pour un transporteur de prendre la mer. Conséquence : le précieux hydrocarbure russe se serait fait beaucoup plus rare sur le marché mondial.
Une perspective qui a commencé à affoler certains pays, quand les prix du pétrole se sont mis à grimper à cause de la décision de l’Opep de réduire sa production. « Les pays du G7 ont, sous l’impulsion des États-Unis, proposé d’instaurer plutôt un plafond sur les prix au-dessus duquel les assureurs ne pourraient pas assurer le navire transportant l’hydrocarbure russe », explique Simone Tagliapietra.
L’interdiction se transformait ainsi en pilule moins amère. Et pas seulement pour Moscou. Washington voulait éviter scénario catastrophe : voir la pénurie d’hydrocarbure s’accroître en raison de la disparition du pétrole russe (la Russie est le 2e exportateur mondial), et les prix de l’énergie augmenter à un tel point que le monde se retrouve presque aussi pénalisé par ces sanctions que Moscou.
Ils ont donc proposé un prix plafond compris entre 65 et 70 dollars le baril qui a, ensuite, été repris par les membres européens du G7 début septembre. À l’époque, le Brent se vendait à plus de 80 dollars sur le marché mondial et la proposition américaine pouvait passer pour un vrai coup dur pour les finances russes. L’idée était que les assureurs n’auraient pas le droit de couvrir les tankers qui transportaient du brut russe vendu à plus cher que le prix plafond.
Le prix plafond du G7, de la poudre aux yeux ?
Sauf que la Pologne a rapidement jugé que cette proposition était de la poudre aux yeux. Soutenu par les pays Baltes, Varsovie a rappelé que la Russie était déjà forcée de vendre son pétrole à prix bradé… aux alentours de 65 dollars le baril. La proposition du G7 « risque fort de n’avoir absolument aucun effet sur les revenus que Moscou tire de ses exportations de pétrole », souligne Lawrence Haar, spécialiste de l’économie de l’énergie à l’université de Brighton.
La Pologne, l’un des pays qui prônent l’imposition des sanctions les plus sévères possibles à l’égard de Moscou, plaide pour un prix plafond plus proche de 30 dollars le baril. Varsovie rappelle que le coût de production du brut en Oural dépasse à peine les 10 dollars par baril.
Cette proposition peut sembler plus en phase avec l’objectif affiché de tarir la manne qui permet à Vladimir Poutine de financer sa guerre en Ukraine. Mais « elle risque d’être politiquement inacceptable pour certains pays européens », souligne Simone Tagliapietra.
En effet, des États comme « Chypre ou la Grèce doivent veiller sur les intérêts de leur secteur maritime », note Harald Oberhofer, économiste à l’Institut autrichien de recherches économiques (Wifo). « Ils craignent que leurs armateurs perdent des navires qui préfèreront se faire immatriculer dans des pays hors de l’Union européenne afin d’échapper aux effets sur l’embargo européen. »
Sans compter que, certes, « 95 % de la souscription d’assurance pour les pétroliers est actuellement fournie par les consortiums du G7. Mais combien de temps faudra-t-il avant que les Chinois ne commencent à s’y substituer ? », s’interroge Barry Eichengreen, économiste américain lors d’un débat organisé en septembre par le Center for Economic and Policy Research (CEPR), raconte Les Échos.
La situation ressemble, ainsi, à une impasse. Un prix plafond trop élevé n’aura aucun effet sur les rentrées d’argent de la Russie, tandis que s’il est trop bas « Moscou va trouver des moyens de contourner la sanction », estime Lawrence Haar.
Pas de bonne solution
Les tenants du « prix G7 » soutiennent qu’il s’agit d’un premier pas. Ils expliquent que le plus important « est d’introduire le mécanisme de sanction, quitte à baisser le prix plafond par la suite si nécessaire », explique Simone Tagliapietra. Il s’agirait, en réalité, d’une sorte d’épée de Damoclès que la communauté pourrait agiter en permanence au-dessus de la tête des Russes. « La menace est toujours plus forte que l’exécution », pour reprendre les propos d’Aaron Nimzowitsch, célèbre théoriticien d’échecs qui expliquait qu’il fallait souvent mieux faire planer le danger sur l’échiquier pour pousser l’adversaire à la faute et gagner une partie.
Une autre option serait de placer le prix plafond entre la proposition du G7 et celle de la Pologne. « On pourrait imaginer un prix aux alentours de 50 dollars », souligne Simone Tagliapietra.
Mais cela ne résout pas le problème inhérent à ce mécanisme. « Le prix plafond ne fonctionne que s’il est en dessous de ceux du marché, et on ne peut pas savoir ce qu’il en sera pour celui du pétrole dans trois mois ou plus », résume Harald Oberhofer. S’il faut ajuster constamment le curseur en suivant le cours du brut, c’est toute la construction qui risque rapidement d’apparaître comme une usine à gaz.
« Le seul moyen efficace de réduire les revenus du pétrole de la Russie serait d’empêcher purement et simplement les bateaux russes de quitter les ports avec leur précieuse cargaison », note Lawrence Haar. Mais pour ce faire, il faut pouvoir imposer un tel embargo… par la force si nécessaire, ce qui serait probablement considéré comme un acte de guerre par Moscou.
france24