La postérité tient parfois à une simple pièce. Des analyses réalisées sur des monnaies romaines considérées comme fausses depuis plus d’un siècle laissent entendre qu’un souverain romain du troisième siècle de notre ère, passé à la trappe de l’histoire, aurait finalement existé.
Considérée comme un faux depuis le 19e siècle, cette pièce d’or à l’effigie d’un certain Sponsianus aurait bien été fabriquée vers 260-270 ap. J.-C. Le souverain aurait donc réellement existé et eu un rôle dans l’histoire.
Et ainsi Sponsien fût. Depuis le 19e siècle, quatre pièces d’or romaines sur lesquelles figurait un empereur inconnu du nom de Sponsianus – ou Sponsien – étaient considérées comme des faux en raison de leurs caractéristiques étranges, voire grotesques. Issues d’un petit magot de trente pièces trouvé en 1713 en Transylvanie, elles avaient fini par être rangées au fond d’une armoire, entraînant avec elles dans l’oubli la figure impériale de Sponsianus.
Une équipe du département des Sciences de la Terre de l’Université de Londres, au Royaume-Uni, pourrait cependant réhabiliter Sponsianus dans l’histoire. Selon le chercheur Paul N. Pearson et son équipe, qui publient leur argumentaire dans la revue Plos One, les monnaies seraient bel et bien authentiques. Par conséquent, l’empereur Sponsianus aurait bien gouverné au 3e siècle après J.-C dans une province isolée de l’Empire, la Dacie, correspondant à une partie de l’actuelle Roumanie.
D’étranges traces d’usure
Au printemps 2020, pour alimenter la rédaction d’un livre sur l’Empire romain en crise (« L’Empire romain en crise, 248-260 : quand les dieux abandonnèrent Rome », aujourd’hui publié), Paul N. Pearson se procure une photographie en haute résolution d’une des quatre pièces à l’effigie de Sponsianus. Il sait que deux d’entre elles sont conservées à Vienne, en Autriche, qu’une est à Sibiu, en Roumanie, et qu’une dernière se trouve à Glasgow, en Écosse. « À l’époque, seules des images en noir et blanc de ces monnaies étaient disponibles », explique-t-il à Sciences et Avenir. « J’ai donc envoyé un mail à Jesper Ericsson, conservateur du Hunterian Museum de Glasgow, pour qu’il me fasse parvenir un cliché de qualité. »
Persuadés qu’il s’agit d’une imitation, les deux hommes remarquent à leur grande surprise – sur l’image en haute définition – que la pièce d’or est couverte de petites rayures et de ce qui semble s’apparenter à des dépôts de terre. Ils ne sont pas sans ignorer que les faussaires utilisaient déjà il y a trois siècles des méthodes de vieillissement artificiel pour duper les amateurs comme les experts en monnaies anciennes : sur ces dernières furent notamment mises au point des techniques d’abrasion simulant l’usure et des méthodes de coloration pour donner un aspect patiné aux pièces. Les observations des deux spécialistes n’en restent pas moins troublantes. Aussi décident-ils d’amorcer une étude plus minutieuse de l’objet.
Fautes d’orthographe
À première vue, les monnaies « sponsiennes » ont toutes les caractéristiques des fausses monnaies romaines. « Elles ont l’air coulées dans du métal en fusion plutôt que frappées entre des matrices comme c’était la norme, les inscriptions sont parfois mal orthographiées et, dans un cas, il semble même que des lettres n’aient pas de signification », détaille Paul P. Pearson. « Comme si la personne qui avait gravé les motifs était analphabète et qu’elle copiait une écriture qu’elle ne comprenait pas. Il n’est pas étonnant que le grand expert en monnaies romaines Henry Cohen les ait qualifiées de ‘pièces modernes ridiculement imaginées et très mal faites' ».
C’est précisément Henry Cohen, éminent numismate à la Bibliothèque nationale de France, qui achèvera de convaincre en 1863 les experts que les quatre pièces étaient de grotesques contrefaçons. Avant lui, les avis s’étaient voulus plus nuancés : les premiers spécialistes à avoir manipulé les pièces les avaient acceptées comme d’authentiques produits de l’Antiquité tout en les classant dans la catégorie des imitations dites « barbares » des pièces romaines, fréquemment fabriquées au-delà des frontières de l’Empire. Sponsianus avait alors à l’époque était classé parmi les « usurpateurs » locaux au règne de courte durée, et perçu comme « un inconnu de l’histoire qui aurait tenté de s’emparer du pouvoir suprême pendant les guerres civiles de 248-249 de notre ère qui ont mis fin au règne de Philippe », stipule l’étude.
Rayures et silice
Un siècle et demi plus tard, les analyses menées par Paul. P. Pearson, Jesper Ericsson et trois collaborateurs internationaux prouvent en tout cas qu’Henry Cohen avait tort. Les microscopes en lumière visible et à balayage électronique ont notamment révélé que la pièce du Hunterian fut à un moment en circulation active, après comparaison avec les marques d’usure de deux authentiques pièces romaines de la même époque.
Mais si Paul. P. Pearson et Jesper Ericsson ont été capables de distinguer les petites rayures sur une simple photo, pourquoi Henry Cohen, lui, ne les a-t-il pas remarquées ? « Cohen n’a en réalité jamais tenu une pièce spondienne entre ses mains, il en a seulement vu un moulage. Il n’a donc pas pu apprécier l’ampleur de l’usure ou distinguer les dépôts à sa surface. »
Ces dépôts, justement, vont à leur tour confirmer le fait que la pièce est bel et bien âgée de 2.000 ans : à sa surface sont apparus des minéraux tenus en place par de la silice, une cimentation qui n’a pu se produire naturellement qu’après une longue période de conservation dans le sol. « Ces observations imposent une réévaluation de Sponsien en tant que personnage historique », considère Paul Pearson.
Un commandant aux abois ?
Dans son étude, l’équipe émet l’hypothèse que Sponsien était un commandant de l’armée qui aurait régné sur la Dacie, province isolée de l’Empire, pendant la crise militaire des années 260 de notre ère. Des études archéologiques ont établi que la région, convoitée pour ses mines d’or, fut coupée du reste de l’empire romain vers 260 de notre ère.
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