Adopté par les consommateurs et de plus en plus présent sur les articles de supermarchés, le Nutri-Score verra son algorithme évoluer en 2023. La professeure Chantal Julia, représentante française au comité scientifique du Nutri-Score, explique à Sciences et Avenir les principales évolutions votées en juin 2022.
Le nouvel algorithme du Nutri-Score classera différemment le pain blanc et le pain complet. Plus un produit sera riche en fibres, meilleur sera le classement obtenu. Le pain blanc sera donc moins bien noté que le pain complet.
Sciences et Avenir : Chaque Français consomme en moyenne 100 grammes de sucre (16 morceaux) par jour, soit quatre fois plus que les recommandations de l’OMS. Certains ont reproché à l’algorithme du Nutri-Score ne pas être assez sévère vis-à-vis de cet ingrédient. Les produits contenant trop de sucre vont-ils être notés plus sévèrement ?
Professeure Chantal Julia : Oui effectivement. Le sucre a une densité énergétique plus faible que les matières grasses, il était donc relativement mieux noté à cause de cette propriété. Nous allons corriger ce déséquilibre en ajoutant 5 points ‘défavorables’ aux produits qui contiennent trop de sucre.
« Certaines céréales encore classées A mais qui contiennent des quantités importantes de sucres basculeront en C »
Pourra-t-on encore trouver en France des céréales pour le petit déjeuner, des bonbons ou des pâtes à tartiner, avec un Nutri-Score A, B, ou C ?
Il n’y a pas de modification fondamentale du Nutri-Score avec ce nouvel algorithme. Les bonbons très sucrés sont déjà mal classés et les pâtes à tartiner très grasses et très sucrées le sont aussi. Mais rappelons-le, il ne s’agit pas d’interdire ces produits, juste d’en modérer la consommation et de les comparer à d’autres produits avec une composition nutritionnelle plus favorable. Par exemple les pâtes à tartiner exclusivement à base d’amandes sont bien notées. Quant aux céréales, certaines qui sont encore classées A mais qui contiennent des quantités importantes de sucres basculeront en C.
Pourquoi n’est-il pas possible de prendre en compte les sucres ajoutés dans l’algorithme du Nutri-Score ? Ne sont-ils pas pourtant, eux aussi, mauvais pour la santé ?
Les sucres ajoutés, c’est-à-dire les sucres qui ne sont pas naturellement présents dans un aliment, ne sont pas précisés sur l’étiquette nutritionnelle d’un produit. C’est l’ensemble des sucres qui est noté. Par exemple une compote de pommes est naturellement riche en sucre issu du fruit ; l’industriel peut choisir d’ajouter encore du sucre à sa compote, mais sur l’étiquette c’est la somme entre le sucre des fruits et le sucre ajouté par le fabricant qui sera indiqué. Nous aimerions bien avoir accès à la répartition entre les deux types de sucre mais pour cela il faudrait changer la législation… au niveau européen.
Vous envisagez aussi de modifier l’algorithme en ce qui concerne le sel, à cause de ses effets délétères sur la pression artérielle et du risque d’hypertension associé. Comment allez-vous procéder ?
Le sel nous place dans la même configuration que le sucre. La faible densité énergétique de certains produits salés leur permet d’être correctement notés. Nous avons donc décidé de pénaliser jusqu’à 10 points supplémentaires un excès de sel dans un aliment. Les charcuteries et les fromages très salés seront donc pénalisés.
D’autres produits trop riches en sel sont-ils aussi concernés ?
Oui, tous les produits de type bouillons, sauces, ou soupes peuvent être trop salés. L’exemple type c’est la sauce soja, qui n’est finalement, dans la plupart des préparations, que du sel sous forme liquide.
Aujourd’hui, un pain de mie complet est presque aussi bien classé qu’un pain de mie élaboré avec de la farine blanche. Or le premier contient bien plus de fibres et est assimilé plus lentement par l’organisme, deux propriétés importantes pour évaluer la qualité nutritionnelle d’une denrée. Y a-t-il eu un consensus pour différencier ces deux types d’aliments ?
Oui. Pour cela nous avons augmenté le seuil à partir duquel un produit peut gagner des points favorables avec la présence de fibres dans ses ingrédients. Avec très peu de fibres, il ne sera plus possible d’avoir un Nutri-Score A ou B.
La plupart des pains blancs passeront donc en C. Vous avez tenu à donner un meilleur score à des produits riches en calcium et en fer. Pourquoi ?
Parmi les éléments favorables à considérer dans un produit alimentaire, le fer et le calcium sont des nutriments intéressants pour des régimes alimentaires équilibrés. Dans le Nutri-Score, le fer et le calcium sont pris en compte à travers la composante « protéines ». Celle-ci ayant été révisée, les produits comportant davantage de calcium (fromages à pâte pressés contenant peu de sel) ou de fer (légumineuses, volailles) obtiendront un meilleur score.
Bien qu’un régime pauvre en fruits à coque soit associé à un risque accru de maladies cardiovasculaires et de diabète, vous n’avez pas souhaité faire figurer les fruits à coque dans la liste des fruits et légumes permettant à un produit de bonifier son Nutri-Score. Pour quelles raisons ?
Effectivement, les fruits à coque ne figurent plus dans les ingrédients inclus dans la composante « fruits et légumes’ » du Nutri-Score, ils ont changé de catégorie de produits, puisque le calcul du Nutri-Score pour ces produits suivra celui des matières grasses. Cela permet de mieux faire la différence entre les fruits à coque non assaisonnés (qui sont en général mieux classés) et assaisonnés (beurres de noix, produits apéritifs, noisettes enrobés de sucre, noix de cajou salées ) qui eux sont davantage pénalisés.
« L’huile de coco, dont la composition est très riche en acides gras saturés, gardera un Nutri-Score E »
Quelle a été la position du comité scientifique vis-à-vis des viandes rouges et des viandes transformées, aliments qui ont fait l’objet de controverses scientifiques et de lobbying intensif (la polémique a été vive à ce sujet ces dernières années) ?
Le débat est clos : l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) recommande de limiter la consommation de viande à 500 g par semaine. En ce qui concerne le Nutri-Score, la viande rouge ne pourra prétendre à plus de 2 points sur la composante protéines. Les volailles seront, elles, maintenues dans le calcul général. En toute logique une escalope de poulet sera mieux classée qu’une côte de bœuf. Certaines viandes très maigres seront toujours classées A, les autres de B à D en fonction de leur composition en graisses saturées.
Concernant les graisses, l’algorithme réussit-il à différencier les graisses insaturées, meilleures pour la santé, comme l’huile d’olive, des graisses saturées comme le beurre, qui est à consommer avec modération ?
Oui. L’huile d’olive contient relativement peu de graisses saturées ; à ce titre l’algorithme lui attribuera peu de points négatifs. De plus, elle est issue d’un fruit qui entre dans la composante ‘fruits et légumes’ : l’olive, ce qui lui permet d’avoir un bonus. Le beurre est perdant sur les deux critères. Quant à l’huile de coco, dont la composition est très riche en acides gras saturés, elle gardera un Nutri-Score E.
Quand les consommateurs peuvent-ils espérer voir appliquer ces nouvelles règles ?
La formule de l’algorithme du Nutri-Score est inscrite dans le décret qui a permis son adoption. Tout changement de formule nécessite la publication d’un nouveau décret. Cependant la France doit obtenir l’aval de la Commission Européenne dans le cadre de la réglementation sur les produits alimentaires. Avec une dose d’optimisme, le décret pourrait être publié dans le courant 2023.
Sur quoi se fonde le comité scientifique pour décider de l’évolution de l’algorithme ? En effet certaines recommandations nutritionnelles ne font pas consensus dans la communauté des scientifiques.
En France, ce sont les travaux de l’ANSES et du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) qui ont abouti aux recommandations, après un très gros travail d’étude de la littérature scientifique. Les six autres pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne Luxembourg, Pays-Bas et Suisse) qui participent à l’élaboration de l’algorithme arrivent peu ou prou aux mêmes conclusions en matière de conseils nutritionnels et suivent un processus similaire d’analyse de la littérature scientifique.
Il y a en ce moment une petite musique qui se fait entendre, reprochant au Nutri-Score de valoriser les produits ultra-transformés. Des fromages râpés dans lesquels on ajoute de la fécule de pomme de terre pour améliorer leur score ou des produits ultra-transformés obtiendraient la lettre A ?
La transformation des aliments et la composition nutritionnelle des produits sont deux dimensions complémentaires d’un produit alimentaire, qui toutes les deux jouent sur la santé de façon indépendante. Mais on ne sait pas aujourd’hui prendre en compte ces deux dimensions dans un seul algorithme. En ce qui concerne les fromages, la composition de ces produits en gras et en sel reste important pour la santé. Les fromages contenant moins de sel sont ceux qui seront favorisés dans l’algorithme.
Et les produits ultra-transformés qui obtiennent la lettre A comme les pâtes à la tomate, ou les céréales Chocapic ?
Nous remarquons ces évolutions. Il y a 10 ans, à « la naissance » du Nutri-Score, il n’existait pas de biscuits pour le goûter classés C, sauf des biscuits utilisés pour le petit-déjeuner, riches en fibres. On voit aujourd’hui fleurir, sur les rayons des supermarchés, une offre de produits avec des compositions nutritionnelles améliorées, qui obtiennent de bons scores. Grâce au nouvel algorithme, ces nouvelles formulations seront prises en compte et corrigées. Les produits contenant peu de fibres ou de protéines (plats préparés par exemple) ne seront plus aussi bien classés.
« Les produits ultra-transformés pourraient être signalés aux consommateurs »
Et les céréales, très consommées au petit déjeuner par les enfants ?
Là aussi, seuls les produits contenant peu de sucres et d’importantes quantité de fibres pourront obtenir un très bon classement.
Ne craignez-vous pas que les industriels, après avoir combattu le Nutri-Score avec vigueur adaptent leurs produits (ajout de colorants, raffinage des céréales et des féculents …) pour obtenir un meilleur classement, avec l’effet pervers qu’ils deviennent ultra-transformés ?
Nous avançons pour que les produits ultra-transformés soient pris en compte dans les politiques publiques. Ils pourraient être signalés aux consommateurs, par exemple, avec un liseré noir autour du logo Nutri-Score.
Et quels seront vos prochains chantiers ?
sciencesetavenir