Sidi Mohamed Kagnassi : « L’Afrique peut devenir le continent du digital »

Cela fait maintenant trente ans que vous êtes entrepreneur. Observez-vous une évolution du climat des affaires en Côte d’Ivoire et plus largement sur le continent ?

Sidi Mohamed Kagnassi : J’ai la chance de faire partie d’une famille d’entrepreneurs. J’ai notamment beaucoup appris aux côtés de mon père. C’est un avantage considérable pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale, et j’ai conscience que c’est une chance qui n’est pas donnée à tout le monde.

Le climat des affaires n’est évidemment pas le même aujourd’hui qu’au moment où j’ai fait mes premiers pas d’entrepreneur. La conjoncture géopolitique et économique internationale n’est plus la même, les crises politiques et la pandémie de COVID-19 ont considérablement affecté les économies et certains secteurs d’activité ont été sévèrement impactés. Je pense par exemple aux secteurs des transports (aérien et maritime), au tourisme, à l’hôtellerie ou encore à la restauration. Les économies ouest-africaines n’ont pas été épargnées mais, après une période délicate, les indicateurs progressent de nouveau.

Selon le dernier rapport du Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN) réalisé en partenariat avec leurs homologues européens (Allemagne, Royaume-Uni, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Suède, Suisse), la note d’appréciation du climat des affaires pour l’année 2021 est meilleure que les trois années précédentes avec 2,6/5, et ce, en dépit des multiples crises. Au niveau régional, l’Afrique de l’Ouest se classe en deuxième position de cette étude (2,7/5), derrière l’Afrique du Nord (2,8/5). Dans la zone de l’UEMOA l’activité a augmenté de 5,5% en 2021 et devrait fin 2022 atteindre les 6,1%.

Les indicateurs sont donc au vert et je suis convaincu qu’ils iront encore en s’améliorant car les gouvernements comprennent aujourd’hui plus que jamais qu’un climat des affaires optimal, c’est un secteur privé compétitif et donc une économie en bonne santé. Pour améliorer ce climat des affaires, la Côte d’Ivoire, qui a retrouvé sa croissance d’avant la pandémie, mise par exemple sur la modernisation des infrastructures. Le Plan National de Développement 2021-2025 du gouvernement ivoirien prévoit ainsi de dédier 90 milliards d’euros à l’amélioration des infrastructures.

Un choix stratégique pour le gouvernement ivoirien puisque les infrastructures sont un facteur important. Les critères de la sécurité et de l’accès à Internet prennent toutefois de plus en plus de place dans les grilles d’évaluation. Et c’est tout à fait normal, les différentes crises politiques actuelles nous prouvent que la stabilité politique et sécuritaire de tous les pays peut être renversée. C’est un équilibre fragile, la situation en Ukraine le montre bien.  Dans le même temps, la crise sanitaire a renforcé l’utilisation d’Internet et des outils digitaux. L’utilisation et la maîtrise de ces outils sont d’ailleurs devenues essentielles à toute entreprise souhaitant s’inscrire dans son époque et offrir une expérience optimale à ses clients ainsi qu’à ses salariés.

La question de la digitalisation des usages est au centre de vos préoccupations. Quel regard portez-vous sur ces innovations ?

Sidi Mohamed Kagnassi : Les outils digitaux ont totalement changé la façon de faire des affaires ou de gérer une entreprise. En termes d’opportunité business, l’accès à Internet et aux plateformes digitales a fait exploser le e-commerce, surtout pendant la crise sanitaire. Les marchés africains ne sont pas encore suffisamment matures pour générer les chiffres de l’e-commerce européen ou américain, mais ça viendra, et plus vite que prévu !

Le nombre d’acheteurs africains en ligne a augmenté de 18% par an depuis 2014 selon l‘International Finance Corporation (IFC), une organisation du groupe de la Banque Mondiale. Toujours selon l’IFC, entre 2025 et 2030, le marché du e-commerce pourrait augmenter de 15 milliards de dollars en Afrique, des perspectives très intéressantes et qui ne sont pas ignorées par les entrepreneurs. Depuis 2012, la plateforme de e-commerce nigériane Jumia ne cesse ainsi de croître. Elle est actuellement présente dans plusieurs pays africains comme la Côte d’Ivoire et l’Afrique du Sud et non africains, comme la Chine ou les Émirats arabes unis. Une success story qui pourrait ouvrir la voie à d’autres belles histoires entrepreneuriales.

L’Afrique peut donc devenir le continent du digital. J’en suis convaincu. Et c’est une bonne nouvelle pour nos économies africaines. Mobile money, cryptomonnaies ou encore NFT sont autant d’innovations qui serviront de leviers aux économies nationales africaines. A titre d’exemple, les paiements électroniques devraient atteindre 40 milliards de dollars d’ici 2025 sur le continent.

Les jeunes sont-ils suffisamment formés à la création d’entreprises ? Quelles sont pour vous les notions indispensables qu’il faut acquérir avant de se lancer ?

Sidi Mohamed Kagnassi : La formation de nos jeunes est en effet primordiale dans ce domaine. Ce sont eux les entrepreneurs de demain. Nous avions de vraies carences en matière de formation entrepreneuriale, mais la tendance s’inverse et c’est une bonne chose. Les universités intègrent de plus en plus la dimension entrepreneuriale à leurs formations et des initiatives comme l’Africa MiTH 2023 : l’Ecole des Boss, lancée par Hapsatou Sy, entendent former les jeunes entrepreneurs pour les aider à lancer leurs activités.

Entre la connaissance des rouages administratifs inhérents à chaque pays, le montage de projet et les innovations digitales qu’il faut prendre en compte, se former avant de se lancer est plus que nécessaire. Certes, les connaissances varient en fonction du domaine d’activité. Un artisan ou un agriculteur n’aura pas les mêmes besoins de connaissances qu’un entrepreneur du digital. Mais tous à leur échelle devront maîtriser certaines bases pour développer leur business. Je pense notamment à l’obtention du crédit en ligne. Près de 80% des PME/TPE africaines n’obtiennent pas de financement. Le développement de la microfinance maximise les chances d’obtention des crédits en permettant aux entrepreneurs de demander leur crédit en ligne, une démarche plus simple, moins contraignante et plus flexible. C’est ce qu’a mis en place Orange Bank Africa, qui propose depuis 2020 en Côte d’Ivoire des crédits renouvelables de 5 000 FCFA.

Pour répondre à votre seconde question, je dirais qu’avant de se lancer dans une aventure entrepreneuriale, il faut être en mesure de connaître ses forces et ses faiblesses. Ce premier constat permet de mieux se connaître et de savoir s’entourer de personnes compétentes, pour pallier ses éventuelles lacunes. Toujours dans cette phase de constat, il est important de connaître le marché sur lequel on souhaite se placer. Qui sont nos concurrents ? Quelle sera la valeur ajoutée de notre produit ou service ? Quelle est la cible ? Toutes ces questions sont nécessaires pour monter un projet solide et durable.

Que font les pouvoirs publics pour encourager le développement de l’activité entrepreneuriale ? Les dispositifs mis en place sont-ils suffisants ?

Sidi Mohamed Kagnassi : Que ce soit au niveau national ou régional, l’ensemble des pouvoirs publics s’est saisi des questions relatives à l’activité entrepreneuriale. On assiste à un alignement des planètes au niveau national, régional, mais aussi panafricain. Il y a une multiplicité d’initiatives destinées à booster l’entrepreneuriat et à le faciliter. La Côte d’Ivoire a par exemple entrepris des améliorations notamment auprès des étudiants en travaillant pour la mise en place d’un statut « étudiant-entrepreneur ». C’est une belle démarche et une opportunité conséquente pour les étudiants de Côte d’Ivoire.

Les étudiants pourront, en effet, assister à des formations complémentaires destinées à les aider dans la réalisation de leur projet entrepreneurial. Cette mesure a un double effet : former et préparer les jeunes générations à l’entrepreneuriat mais aussi augmenter l’employabilité. Un étudiant entrepreneur n’est plus un étudiant à la recherche d’un emploi. Au mieux, il en créera. La logique est la même pour le dispositif Digital Africa lancé au mois de septembre. Le but est de renforcer l’entreprenariat des plus jeunes et ici, spécifiquement dans la tech. Un secteur d’avenir pour le continent.

Quelle est selon vous la force du tissu entrepreneurial africain ?

Sidi Mohamed Kagnassi : Je dirais plutôt les forces ! Tout d’abord, la fibre entrepreneuriale fait partie intégrante de notre continent. Nous avons parfois une vision idéalisée de ce qu’est un entrepreneur. Chaque vendeuse de rue, chaque taximan à son compte, chaque gérant de boutique de quartier… Toutes ces personnes sont des entrepreneurs à part entière. Et même si elles sont souvent invisibilisées, les femmes sont les plus grandes entrepreneures d’Afrique. Selon certains experts, elles seraient à l’origine de 65% de la richesse du continent.

En plus de cette fibre entrepreneuriale, le continent africain a la population la plus jeune du monde avec 400 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans. Si l’on ajoute à cela le développement croissant d’Internet et des outils digitaux, il est clair que le marché africain pourrait représenter une large part du marché mondial. Et ce marché s’étend même aux diasporas africaines qui entretiennent des liens très proches avec leurs pays d’origine. Autant d’atouts qui sont soutenus et valorisés par des pouvoirs publics de plus en plus conscients des enjeux.

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