Guinée : la trajectoire ensanglantée de Moussa Dadis Camara

Moussa Dadis Camara a perdu de sa superbe devant ses juges. Ce magistrat qui lui coupe la parole, il l’aurait sans doute humilié et démis aux yeux de la Guinée entière du temps où il dirigeait abruptement le pays.

Moussa Dadis Camara a perdu de sa superbe devant ses juges. Ce magistrat qui lui coupe la parole, il l’aurait sans doute humilié et démis aux yeux de la Guinée entière du temps où il dirigeait abruptement le pays.

Là, il se confond en obséquiosités envers « Monsieur le Président » pour demander l’ajournement de ce procès historique : parce que, « depuis un très bon moment, je souffre », avance-t-il.

L’inversion des rôles est saisissante pour celui dont l’éphémère passage au pouvoir, sans les évènements du 28 septembre 2009, serait peut-être resté dans les mémoires surtout pour les prestations télévisées saugrenues où il mettait plus bas que terre des faire-valoir.

Le capitaine Camara, 57 ans, répond depuis le 28 septembre 2022 avec une dizaine d’anciens responsables du massacre perpétré 13 ans plus tôt. Un retour de cette destinée qu’il invoque constamment ; elle a fait d’un obscur officier un chef d’Etat incongru, et d’un chef d’Etat un criminel présumé.

Le capitaine Camara était président ce jour et les suivants où les Bérets rouges de sa garde, des soldats, des policiers et des miliciens ont assassiné dans un stade de Conakry et alentour des dizaines de personnes réunies pour le dissuader de se présenter à la présidentielle prévue en janvier 2010. Des dizaines de femmes ont été violées.

Le capitaine Camara et un groupe d’officiers s’étaient emparés du pouvoir le 23 décembre 2008 après l’annonce de la mort du président Lansana Conté. « Sans effusion de sang », insiste-t-il.

Le lendemain, il s’autoproclamait président. Aucun civil ne pouvait gérer ce pays gangréné par la corruption et dirigé depuis l’indépendance par des autocrates, justifiera-t-il ensuite.

Le capitaine Camara était alors un inconnu, un Guerzé, ethnie de Guinée forestière, très loin de Conakry. Son père, analphabète selon lui, était paysan. « Moi, je suis un homme du peuple (…) je suis né dans une case », martèle-t-il une fois au sommet.

Après des études universitaires insignifiantes, il est entré en 1990 dans cette institution primordiale qu’est l’armée. Il y a fait carrière à l’intendance. C’est son engagement en 2007 et 2008 dans des mutineries pour des questions de soldes et de primes qui lui a valu le ralliement d’un certain nombre de camarades, disent ces derniers.

« Je suis le père de la Nation, c’est ce que le destin aussi a voulu », lance-t-il en 2009. Au début de sa présidence, son discours pour le peuple lui attire l’adhésion de nombreux Guinéens. Il fait au président et voisin sénégalais Abdoulaye Wade l’impression d’un « jeune pur qui veut bien faire ».

Invariablement ceint de sa tenue de camouflage, béret rouge sur la tête, il met en scène son autorité devant les foules et les caméras. Vociférant ou plaisantant, le regard intense, il traite devant tout le monde un homme d’affaires russe de voleur, fait la leçon aux diplomates étrangers, suspend en direct le directeur général des douanes. C’est le « Dadis Show », exalté et confus.

Rapidement la multiplication des arrestations et le flou entretenu par le capitaine Camara sur ses intentions en vue de la présidentielle sèment la division. Sa santé mentale est mise en doute.

Avec le massacre du 28-Septembre, son nom se retrouve associé à de possibles crimes contre l’humanité, une des pages les plus sombres de l’histoire contemporaine de la Guinée, qui n’en manque pas.

Lui dit avoir été « débordé » par des hommes hors de contrôle. Il continue à parler à la troisième personne et assure que « le président Dadis était dans son bureau », celui où il travaille au milieu de portraits de lui-même dans le camp militaire Alpha Yaya Diallo.

Le 3 décembre, son aide de camp lui tire dans la tête parce qu’il aurait tenté de faire peser toutes les charges sur lui. Il est évacué vers le Maroc puis le Burkina Faso où, en janvier 2010, sur médiation ouest-africaine, il renonce à gouverner.

En exil, forcé à l’abstinence politique, il se convertit au christianisme. Il annonce sa candidature à la présidentielle de 2015 mais est rattrapé la même année par le 28-Septembre, inculpé et empêché de se présenter. Il rentre en septembre 2022 pour le procès. Il entend « dire (sa) part de vérité ». Il connaît l’avanie d’être incarcéré.

Le 5 décembre, dix semaines après l’ouverture du procès, le « petit capitaine devenu président par le biais du destin » selon ses mots passés est appelé à déposer pour la première fois, il rejoint la barre d’une démarche mal assurée, en boubou sombre, son éternelle gourmette au poignet, et demande un report des débats.

Si la cour refuse, il déposera. « Je ne suis pas au-dessus de la loi », admet-il. Il remercie humblement quand la cour lui accorde une semaine de répit. « Je peux déposer le micro, Monsieur le Président ? »

euronews

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