Un rapport de la Défense française: un déficit européen de gaz

La Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère français des Armées prévoit que l’Union européenne (UE) risque de rester exposée à une compétition sévère d’approvisionnement en matière de gaz naturel et à des déficits chroniques sur le marché mondial du Gaz naturel liquéfié (GNL). Extraits

L’enjeu de ce rapport
Ce risque de déficits sur le marché mondial résulte de l’incertitude pesant aujourd’hui sur l’avenir des contrats d’importation de gaz russe. Elle découle aussi de près de deux décennies de déclin de la production gazière en Europe de l’Ouest, et du retard tout aussi ancien pris dans la mise en œuvre des objectifs climatiques de sortie des énergies fossiles. Transformer son économie pour la rendre sobre en énergie et en matière, ou bien demeurer dans une position d’extrême vulnérabilité face à l’évolution géopolitique et écologique du continent : telle est l’alternative face à laquelle se trouve l’Europe, conclut le Shift Project, groupe de réflexion français sur la transition énergétique, au terme de la présente analyse de risque, conduite sous l’égide du ministère des Armées et du Bureau de recherches géologiques et minières

L’UE est massivement importatrice de gaz naturel, avec environ 70 % de ses approvisionnements venant jusqu’ici par gazoduc d’essentiellement trois pays, par ordre d’importance : la Russie, la Norvège et l’Algérie.

Moscou a pu saisir l’opportunité de cette tension structurelle pour mettre en œuvre sa tactique de pression sur l’Europe. Les tensions d’approvisionnement risquent de s’aggraver, compte tenu de la croissance attendue des besoins asiatiques d’importations d’une part, et de la lenteur dans la mise en œuvre des objectifs européens de sortie des énergies fossiles d’autre part. Ce risque semble confirmer l’avènement d’un régime géostratégique s’exerçant de façon systématique sous contraintes de disponibilité en énergie et en matière.

Les risques pour l’approvisionnement de l’Europe
A l’heure actuelle, en cas d’arrêt durable des approvisionnements russes, la part des approvisionnements non-identifiés (1) atteindrait en 2025 pas moins de 40 % de la demande de l’UE prévue par Rystad Energy. De l’ordre de 140 Gm3 par an, soit un peu plus que les exportations totales du Qatar, premier exportateur mondial en 2021.

Si les volumes d’approvisionnements russes étaient rapidement rétablis au niveau prévu par les contrats existants, et si d’autre part la demande de l’UE diminuait fortement, mais moins vite cependant que d’après ses objectifs climatiques, 12 % des sources d’approvisionnement de l’UE resteraient pour l’heure non-identifiées à l’horizon 2025, 25 % à l’horizon 2030 et 50 % à l’horizon 2035.

Avec les mêmes volumes russes, si la demande de l’UE devait se maintenir à son niveau de 2021, la proportion des approvisionnements non-identifiés atteindrait alors un quart de cette demande en 2025, puis plus d’un tiers en 2030. Si les pays de l’Union européenne parviennent à tenir leurs engagements climatiques pris dans le cadre du plan « Fit for 55 », ils peuvent réduire considérablement leur exposition face à un défaut partiel ou total des approvisionnements russes.

Vers un déficit structurel du marché du GNL
Ainsi, les volumes non-identifiés d’approvisionnement que nous avons estimés sont susceptibles d’être fournis soit grâce à de futurs contrats sur le marché mondial du GNL livré par navire méthanier, soit grâce à une hypothétique normalisation des relations avec la Russie.

La confrontation de notre estimation des volumes d’approvisionnements mondiaux non-identifiés (UE et hors UE) avec des volumes d’exportations futures de GNL susceptibles d’être contractés fait apparaître une situation très précaire sur le marché mondial de GNL à l’horizon 2025, puis un possible net décalage entre offre accessible et demande aujourd’hui escomptée.

En cas d’arrêt durable des livraisons russes à l’UE, la demande mondiale de GNL risque de subir des déficits d’approvisionnement endémiques et sévères. Dans l’hypothèse d’une limitation des exportations de la Russie vers l’UE aux seuls volumes prévus par les contrats existants, l’équilibre global potentiellement tout juste atteint sur le marché GNL à l’horizon 2025 peut aisément aboutir à des déficits chroniques, par exemple en cas d’hiver rigoureux en Europe de l’Ouest et en Asie, ou encore en cas d’été sec au Brésil. Au surplus, compte tenu de la mise hors service sine die des gazoducs Nord Stream 1 & 2, cette hypothèse de respect des volumes prévus risque d’être déjà partiellement hors d’atteinte à l’horizon 2025.

(1) Pour définir les volumes d’approvisionnement futurs non-identifiés, nous avons fait la somme de l’estimation de la production à venir de l’UE, de ses contrats d’importation existants et de volumes susceptibles d’être contractés auprès de la Norvège et de l’Algérie, via gazoduc. L’écart entre cette somme de sources identifiées et l’évolution supposée de la demande de l’UE fournit l’estimation des sources d’approvisionnement non-identifiés.

L’analyse des risques d’approvisionnement gaziers pour l’UE produite par le Shift Project,s’appuie sur les données datées de novembre 2022 fournies par la société d’intelligence économique norvégienne Rystad Energy. Nous avons comparé l’évolution supposée de la demande de l’UE avec la part de cette demande susceptible d’être couverte par sa production domestique future, ainsi que par des contrats d’importations à moyen et long terme.

Mondafrique

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