Climat : Pourquoi donc la concentration de méthane dans l’atmosphère a bondi en 2020 ?

Certes, la concentration de méthane, puissant gaz à effet de serre, dans l’atmosphère, ne cesse de croître depuis qu’il est mesuré. Reste qu’en 2020, elle a augmenté comme jamais. Des chercheurs ont mené l’enquête

Certes, la concentration de méthane, puissant gaz à effet de serre, dans l’atmosphère, ne cesse de croître depuis qu’il est mesuré. Reste qu’en 2020, elle a augmenté comme jamais. Des chercheurs ont mené l’enquête

En 2020, la concentration de méthane dans l’atmosphère a bondi comme jamais. Du moins depuis le début des mesures dans les années 1980 L’énigme valait bien qu’une équipe internationale de chercheurs*, parmi lesquelles des Français du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE)**, se mette dessus.

C’est que le méthane est un puissant gaz à effet de serre. Bien qu’à vie courte – une dizaine d’années seulement dans l’atmosphère- il est le deuxième gaz à effet de serre en matière d’abondance dans l’atmosphère, derrière le CO2 et a un potentiel de réchauffement bien plus élevé que ce dernier. « Le méthane est responsable de 20 % du réchauffement climatique », résume Philippe Ciais, chercheur au LSCE.

Une hausse de 50 % entre 2019 et 2020

Après un peu plus d’un an de travail, ces scientifiques viennent tout juste de publier leur enquête dans la revue scientifique Nature. Spoiler : les conclusions ne sont guère réjouissantes. Elles tendent à montrer à quel point la lutte contre le changement climatique sera peu aisée et renforce cette hypothèse d’un emballement climatique. En clair : cet effet domino, craint par les climatologues, qui fait que l’augmentation des températures entraîne des rétroactions naturelles, qui contribuent à leur tour au changement climatique.

Avant tout de chose, Marielle Saunois, enseignante-chercheuse du LSCE qui a contribué à l’étude, commence par poser précisément l’énigme du départ. « La concentration de méthane augmente depuis qu’on le mesure et depuis bien avant encore. En 2021, nous avons dépassé les 1.900 parties par milliard (PPB). Autrement dit, nous avons, dans l’atmosphère, 1.900 molécules de méthane pour un milliard de molécules d’air. » Petite quantité donc, mais grosse conséquence.
  • Ce n’est donc pas tant le fait que la concentration de méthane ait continué d’augmenter en 2020, qui a intrigué les chercheurs. Mais bien plus le bond important enregistré cette année-là, pourtant marquée par le Covid-19 et les confinements massifs. Les émissions mondiales de CO2 avaient d’ailleurs diminué cette année-là. « Celles de méthane, elles, ont augmenté d’un peu plus de 15 PPB contre 10 PPB un an plus tôt », reprend Marielle Saunois. Une hausse de 50 % donc.

Chou blanc sur les émissions anthropiques

Pour percer le mystère, cette équipe de chercheurs a passé en revue, une à une, les différentes sources d’émissions de méthane. Marielle Saunois commence par distinguer les sources d’émissions anthropiques, c’est-à-dire causées par les activités humaines. « Dans cette catégorie, les principaux gisements d’émissions sont liés aux énergies fossiles (extraction, distribution, consommation), mais aussi l’agriculture (les pets et rots des ruminants principalement) ou le traitement des déchets », rappelle la chercheuse. Si on y ajoute les feux de forêts, qui émettent aussi leur lot de méthane, ces sources anthropiques représentent environ 60 % des émissions totales de méthane chaque année. Ont-elles explosé en 2020 ? Point du tout. Elles ont même légèrement baissé cette année-là par rapport à 2019, ce qu’on explique par une légère diminution de l’activité dans le secteur des énergies fossiles. Quant aux émissions de méthane liées aux feux de forêt, « là encore, elles ont été moins importantes en 2020 qu’en 2019, année très sèche et marquée par des incendies importants », rappelle Marielle Saunois.

Bref, la clef de l’énigme n’est pas là. Il reste alors aux chercheurs deux autres grandes pistes à creuser. La première est celle des émissions naturelles du méthane. Les 40 % restants. En grande partie, elles sont le fait de micro-organismes des zones humides qui produisent du méthane pour se nourrir », explique Marielle Saunois. La deuxième piste n’est plus de l’ordre des émissions de méthane, mais de leur grignotage. Attention, il va falloir un peu s’accrocher : une fois émis dans l’atmosphère, le méthane sera en grande partie oxyder par des réactions photochimiques, en particulier grâce notamment aux radicaux hydroxyles (OH), présents en quantité infinitésimale dans l’atmosphère*** mais qui y assure, malgré tout, 85 % de la destruction du méthane ». Si ce gaz n’a qu’une durée de vie de dix ans, ce sont donc ces gloutons qu’il faut remercier.

Moins de pollution dans les villes… mais plus de méthane ?

L’année 2020 a-t-elle alors été marquée par des anomalies sur l’une ou l’autre de ces deux pistes ? Autrement dit, y a-t-il eu des émissions accrues de méthane naturel ? Ou une diminution de la quantité d’OH dans l’atmosphère ? Les deux, répond Philippe Ciais. Commençons par les radicaux OH. « Cette espèce chimique est produite par les émissions de polluants, en particulier les oxydes d’azote (Nox) », poursuit le chercheur du LSCE. Or, ces Nox, qui ont une grande part de responsabilité dans la pollution de l’air des grandes métropoles, sont majoritairement émis par les véhicules à moteur à combustion. Moteurs qui ont justement beaucoup moins tourné en 2020 du fait de la pandémie. Autrement dit : moins de Nox, moins d’OH dans l’air et le méthane, qui s’offre un peu de rab dans l’atmosphère. « Les différents modèles que nous avons utilisés ont permis de conclure à une baisse de 1,6 % de la concentration d’OH dans l’atmosphère, indique Philippe Ciais. Ça peut paraître faible, mais ça explique tout de même la moitié de l’énigme. »

L’autre donc est une augmentation d’émissions de méthane d’origine naturelle. Philippe Ciais l’explique par les conditions particulièrement chaudes et humides, en 2020, principalement dans l’hémisphère nord, riches en zones humides, que ce soit dans la région boréale de l’Amérique du Nord, en Sibérie occidentale et orientale, dans les Tropiques du Nord. C’est un des enseignements que tirent les chercheurs des modèles de simulations qu’ils ont utilisés : « Elles ont montré, a priori, qu’un climat plus chaud et plus humide [que le changement climatique devrait rendre plus fréquent à l’avenir] est capable de déclencher, très rapidement, un surplus d’émissions de méthane d’origine naturelle », explique Philippe Ciais. Surplus de méthane qui aggrave donc un peu plus le réchauffement climatique.

Deux mauvaises nouvelles pour le changement climatique

Cet effet d’emballement est la première mauvaise nouvelle à retenir de cette étude. La deuxième à trait aux radicaux OH puisque l’étude tend à montrer qu’en s’attaquant aux émissions d’oxyde d’azote, on affaiblit alors le principal nettoyeur de méthane. Au diable alors la lutte contre la pollution de l’air ? Non ! Philippe Ciais et Marielle Saunois ne voient alors qu’une solution au problème : celui de baisser drastiquement les émissions anthropiques de méthane. Soit, tout de même, 60 % du problème…

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