Les Tunisiens sont appelés, samedi, à renouveler l’Assemblée des représentants du peuple, alors que leur pays est englué dans une grave crise économique et politique. Pour comprendre ce qui joue lors des ces législatives boycottées par l’opposition, France 24 revient sur les événements qui ont secoué la scène politique depuis le coup de force du président Kaïs Saïed.
L’un des enjeux du scrutin de samedi sera la participation, attendue comme très faible par les experts dans un pays qui compte près de 12 millions d’habitants – dont plus de 9 millions d’inscrits. Des jeunes ont récemment confié à l’AFP ne pas se sentir concernés par un scrutin qui va élire un « Parlement marionnette », marginalisé par le système hyper-présidentialiste mis en place au fil des mois par le chef de l’État.
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Le Président tunisien Kaïs Saïed s’arroge les pleins pouvoirs
Le soir de la Fête de la République, le 25 juillet 2021, après une journée de manifestation des Tunisiens contre leurs dirigeants, le président tunisien, engagé depuis des mois dans un bras de fer avec le parti islamiste Ennahda, invoque l’article 80 de la Constitution qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de « péril imminent » à la sécurité nationale.
Kaïs Saïed révoque les ministres du gouvernement d’Hichem Mechichi, limoge le ministre de la Défense ainsi que le chef du gouvernement. Il annonce également la suspension de l’Assemblée et la levée de l’immunité des parlementaires, la formation d’un nouveau gouvernement et sa décision de gouverner par décret.
Le président tunisien décidé également d’étendre son pouvoir sur le système judiciaire.
Des affrontements éclatent devant le Parlement tunisien et l’armée est déployée dans le palais du gouvernement pour faire respecter l’autorité du président. Alors que les militaires empêchent les membres élus du Parlement de se réunir, ces derniers qualifient les actions de Kaïs Saïed d’inconstitutionnelles. Le parti Ennahda, quant à lui, dénonce un « coup d’État ».
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Le gel du Parlement prolongé, le président conserve le pouvoir législatif
Dans la nuit du 23 au 24 août, le président tunisien annonce la prolongation sine die de la suspension du Parlement. Kaïs Saïed entend suspendre la Constitution courant septembre, puis soumettre au référendum une nouvelle mouture de la loi fondamentale.
Un mois plus tard, il confirme par décret le prolongement des décisions ainsi que la dissolution de l’Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi. En s’octroyant le droit de gouverner par décret, Kaïs Saïed récupère de facto le pouvoir législatif.
Si sa décision est critiquée par la plupart des partis, principalement Ennahda – qui avait dans un premier temps tenté de jouer l’apaisement en appelant au dialogue, en vain. Mais il conserve le soutien du Mouvement du peuple, un parti dans la mouvance du socialisme et du nationalisme arabe – 16 sièges obtenus à l’Assemblée en 2019.
En réaction, des milliers de personnes – majoritairement des partisans d’Ennahda et de la Coalition de la dignité – manifestent contre ses décisions.
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Najla Bouden, chargée de former un nouveau gouvernement
Le 29 septembre, Kaïs Saïed charge Najla Bouden Romdhane, inconnue du grand public, de former un nouveau gouvernement, deux mois après le limogeage du précédent cabinet.
C’est la première fois qu’une femme est nommée Première ministre en Tunisie, même si les pouvoirs octroyés à ce poste ont été considérablement réduits par les « mesures exceptionnelles » adoptées par le président, qui suspendent l’application de chapitres clés de la Constitution.
La principale mission du futur gouvernement sera, selon le chef de l’État, « de mettre fin à la corruption et au chaos qui s’est répandu dans de nombreuses institutions de l’État ».
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Les manifestations « contre le coup d’État » se multiplient
Dès le début du mois d’octobre, la contestation s’accentue. Sous des banderoles annonçant « le peuple contre le coup d’État », plusieurs milliers de personnes se rassemblent dans les rues, notamment à Tunis, pour protester contre les dérives du président Saïed.
Dans un discours à la nation, le président tunisien prolonge, le 13 décembre, la suspension du Parlement qu’il avait décidée cinq mois plus tôt, et ce jusqu’à la tenue de nouvelles élections législatives, en décembre 2022.
Kaïs Saïed annonce également l’organisation, à partir du 1er janvier 2022, d’une série de « consultations » populaires portant notamment sur des amendements constitutionnels et électoraux.
« Le Parlement restera suspendu jusqu’à l’organisation de nouvelles élections », déclare-t-il alors. Ce qui revient de facto à une dissolution de la Chambre.
« De nouvelles élections législatives auront lieu le 17 décembre 2022 sur la base d’une nouvelle loi électorale », ajoute-t-il, évoquant une nouvelle loi ainsi que des amendements constitutionnels élaborés dans le cadre des « consultations » populaires prévues de janvier à mars.
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Le président dissout le Conseil supérieur de la magistrature
Le 13 février, Kaïs Saïed publie un nouveau décret présidentiel visant à dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le remplacer par un nouvel organe provisoire. Cet organisme indépendant chargé de nommer les juges est accusé par le président d’être partial et corrompu, et d’avoir ralenti des procédures, dont les enquêtes sur les assassinats de militants de gauche survenus en 2013.
Le CSM est remplacé par un autre organe « temporaire » dont le président s’arroge le pouvoir de limoger les juges et leur interdire de faire grève.
En réaction, plus de 2 000 manifestants se rassemblent dans le centre de Tunis pour exprimer leurs craintes quant à l’indépendance du système judiciaire.
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Le Parlement dissout huit mois après avoir été suspendu
Alors que 120 députés se réunissent le 30 mars lors d’une session virtuelle pour voter la fin des mesures d’exception en vigueur depuis le 25 juillet, Kaïs Saïed dissout le Parlement – une action pourtant anticonstitutionnelle durant la période où l’état d’exception est appliqué – et menace les députés de poursuites judiciaires.
L’annonce, effectuée à la télévision publique, survient après l’ouverture d’une enquête ordonnée par le ministre de la Justice contre des membres du Parlement accusés de « conspirer contre la sécurité de l’État ».
La date du référendum constitutionnel est, quant à elle, fixée au 25 juillet 2022, malgré les critiques de l’opposition.
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Le président limoge une cinquantaine de juges accusés de corruption
Dans le cadre d’une « purge de la justice », Kaïs Saïed limoge, le 1er juin, 57 juges qu’il accuse de corruption. Dans une allocution télévisée, le président indique avoir donné « avertissement après avertissement » à la justice pour « se purifier elle-même ». En vain.
Cette annonce intervient alors que l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), puissant syndicat fort de plus d’un million d’adhérents, a lancé un appel à une grève nationale le 16 juin dans les services et le secteur publics face au refus du gouvernement d’augmenter les salaires malgré l’inflation.
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Faible participation au référendum, la Constitution approuvée à plus de 96 % des voix
Le 30 juin, Kaïs Saïed propose une nouvelle Constitution censée instaurer un pouvoir exécutif fort.
Le texte, publié au Journal officiel, prévoit que le « président de la République exerce le pouvoir exécutif, aidé par un gouvernement dirigé par un chef de gouvernement » qu’il désigne. Ce gouvernement ne sera pas présenté au Parlement pour obtenir la confiance.
Le président, selon le projet publié, jouira en outre de vastes prérogatives : il est le chef suprême des forces armées, définit la politique générale de l’État et entérine les lois. Il peut aussi soumettre des textes législatifs au Parlement, qui doit les examiner « en priorité ».
Au chapitre 5 de la nouvelle Constitution, le président a introduit la phrase affirmant que la Tunisie « fait partie de la communauté islamique » et que « l’État doit travailler pour atteindre les objectifs de l’islam ».
Le 25 juillet, plus de 96 % des votants votent en faveur du « oui », mais une très faible participation des inscrits est enregistrée.
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L’opposition prévoit de boycotter les élections législatives
Plusieurs partis d’opposition tunisiens ont annoncé, en septembre dernier, leur volonté de ne pas prendre part aux élections législatives du 17 décembre pour remplacer le Parlement dissous, accusant le président Kaïs Saïed de « coup d’État ».
« Le Front de Salut national (une coalition de partis d’opposition en Tunisie dont fait partie Ennahda, NDLR) a pris la décision définitive de boycotter les prochaines élections », avait alors déclaré Ahmed Néjib Chebbi, chef du FSN, lors d’une conférence de presse à Tunis. Celui-ci a expliqué cette décision par le fait que le scrutin est organisé sur la base d’une loi électorale dont le président Kaïs Saïed « accapare la rédaction ».
Celui-ci a expliqué cette décision par le fait que les élections auraient lieu sur la base d’une loi électorale dont le président Kaïs Saïed « accapare la rédaction ». Selon cette coalition, les élections s’inscriraient « dans le cadre d’un coup d’État contre la légitimité constitutionnelle ».
Par ailleurs, Ahmed Néjib Chebbi s’est inquiété du report sine die de l’examen par le FMI – prévu initialement le 19 décembre – du dossier de la Tunisie, qui a besoin en urgence d’un nouveau crédit d’environ 2 milliards de dollars. Selon le chef du FSN, ce report « menace les équilibres économiques du pays ».
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Une nouvelle loi électorale réduit le rôle des partis politiques
Présentée mi-septembre par Kaïs Saïed, une nouvelle loi électorale prévoit que les Tunisiens éliront leurs députés individuellement et non plus en votant pour une liste présentée par un parti politique. Un changement qui, selon les observateurs, ne peut qu’affaiblir l’influence des formations politiques.
Début décembre, à deux semaines du scrutin, le chef de l’UGTT a critiqué la tenue des législatives, estimant qu’elles n’avaient aucune raison d’être après la réforme contestée de la Constitution qui réduit le rôle des partis politiques.
« Nous allons vers des élections qui n’ont ni goût ni couleur, qui résultent d’une Constitution qui n’a été ni participative [dans son élaboration] ni soumise à l’approbation de la majorité », a dénoncé Noureddine Taboubi, chef de l’UGTT.
Ce dernier a notamment critiqué le nouveau mode de scrutin prévu – majoritaire uninominal à deux tours – au lieu du scrutin de liste qui était en vigueur.
AFP