Les tiraillements entre libéralisation et protectionnisme qui déchirent le secteur aérien africain depuis plus de vingt ans, le secrétaire général de l’Afraa les connaît bien. Il pose un regard sans illusion sur un marché à la fois fragile et indispensable au développement du continent.
Le 13 décembre, Abderrahmane Berthé a été reconduit à la tête du secrétariat général de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa) pour un deuxième mandat de cinq ans, à l’occasion de la 54e assemblée générale annuelle de l’organisation, organisée pour son retour en présentiel sur les terres d’Air Sénégal, à Dakar, du 11 au 13 décembre.
Depuis Nairobi, siège de l’Afraa, mais aussi au gré de ses interventions régulières dans les grands événements de l’aérien, l’ingénieur aéronautique malien – passé notamment par Air Mali, Société nouvelle Mali SA ou encore Air Burkina – , porte inlassablement auprès des gouvernements et des gestionnaires d’aéroports les demandes de ses compagnies adhérentes. Et en particulier la nécessité d’harmoniser et de réduire les différentes taxes et redevances. Mais s’efforce aussi de les encourager à coopérer pour se renforcer. Sans illusion sur la difficulté de l’exercice.
Abderrahmane Berthé : Il est en train de se restaurer, après la crise du Covid qui l’a très fortement frappé. C’est le cas aussi dans les autres régions du monde, mais les compagnies africaines n’ont pas pu obtenir de soutien financier de la part des États – sauf si ces derniers en étaient actionnaires, et même là, cela a parfois été difficile tant les priorités étaient nombreuses. Les institutions financières que nous avons sollicitées n’ont pas pu donner suite, faut de garantie souveraine des États.
Malgré tout, nous avons pu assister en 2021 à une reprise progressive de l’activité, surtout passagers, qui continue à s’améliorer. En 2022, on estime les compagnies africaines auront transporté 67 millions de passagers [contre 95 millions en 2019]. Maintenant, notre préoccupation est la situation économique mondiale, et surtout l’augmentation importante du prix du carburant. C’est un élément important dans les coûts d’exploitation des compagnies aériennes, cela entraîne donc une hausse considérable des prix des billets d’avion, qui sont 40 à 50 % plus chers qu’avant 2020. Ce qui freine le développement du transport aérien.
Comment percevez-vous l’intégration d’une quantité minimale de SAF (sustainable aviation fuel, carburant d’aviation durable) qui se dessine aux États-Unis et en Europe ?
On est très prudents sur ces questions. Nous avons pris une résolution pour encourager nos membres à améliorer l’efficacité de leurs opérations afin de réduire durablement les émissions, et proposons de les accompagner pour renforcer leurs capacités sur le sujet.
Mais nous soulevons aussi les questions que cela pose aux opérateurs africains. Par exemple, le SAF peut être une partie de la solution, mais il coûte trois à quatre fois plus cher que le kérosène. Nous incitons les décideurs, notamment les gouvernements, à trouver des solutions économiquement viables.
Le projet de marché commun africain dans l’aviation court depuis plus de vingt ans. Mais il y a un mois, quinze États se sont lancés dans un projet pilote entre pays « prêts et volontaires ». Pensez-vous que cette fois sera la bonne ?
À Yamoussoukro, plus d’une quarantaine d’États ont signé, mais rien ne s’est passé. En 2018, on a mis en œuvre SAATM, le marché commun du transport aérien africain. Près de cinq ans après, on constate à nouveau que les États signent – ils sont 35 à ce jour à avoir approuvé ce traité – mais ne mettent pas en œuvre. Ça fait longtemps qu’on se dit qu’il faut y aller, même si ça n’implique dans un premier temps qu’un nombre limité de pays. Ce projet pilote, porté par la Commission africaine de l’aviation civile, correspond donc bien à l’objectif, à condition que les signataires soient sincères dans leur engagement à appliquer réellement les accords de Yamoussoukro, et il est encore trop tôt pour en juger.
Souvent, les États hésitent pour protéger leur compagnie nationale…
Cela peut s’entendre, mais dans ce cas, il faut être transparent. Ce programme est censé représenter les pays « prêts et volontaires ». Si la volonté n’est pas vraiment là, il vaut mieux qu’ils passent leur tour pour l’instant. S’ils décident de s’engager, il faut qu’ils en comprennent les conséquences : plus aucune restriction en termes de fréquences, d’opérateurs [à l’échelle du continent]… C’est loin d’être anodin, c’est pourquoi j’attends vraiment de voir comment cela évoluera dans les prochains mois.
Au niveau de l’Afraa, nous avons demandé à nos membres, à chaque fois qu’ils ont des difficultés en termes de droits de trafic, de nous le signaler, et nous serons particulièrement attentifs aux situations concernant ces États-là.
Et entre l’Afrique et le reste du monde, faut-il aller vers une libéralisation du ciel ?
Yamoussoukro, SAATM, ça ne concerne que l’Afrique. Entre l’Afrique et le reste du monde, c’est à chaque État de trancher dans le cadre d’accords bilatéraux. L’Union africaine planche d’ailleurs sur un document-cadre pour aider les États africains à harmoniser leurs politiques d’accords aériens internationaux. Ces derniers sont guidés par un souci de maintenir un certain équilibre dans la relation entre l’Afrique et le reste du monde.
Sur le continent, va-t-on assister à plus de concentration ?
Oui, car ce n’est pas possible d’avoir en Afrique autant de compagnies que d’États, d’autant que chacun veut avoir son propre hub. Mais l’Afrique ne peut pas avoir 54 hubs. Il va y avoir des consolidations.
Ce qui est important, au-delà des compagnies nationales, c’est ce que le transport aérien apporte au développement d’un pays, à son économie. Un État peut ne pas avoir de compagnie aérienne, mais donner des autorisations à des compagnies tierces pour leurs opérations. L’Afrique est un vaste continent, je pense qu’il y a donc la place pour cinq ou six compagnies à vocation mondiale, accompagnées sur le continent par des compagnies régionales qui coopèrent entre elles.
jeuneafrique