Alarmées par la sécheresse inédite qui sévit en Chine, les autorités ont relancé un projet de barrage controversé sur le plus grand lac d’eau douce du pays.
Mais des écologistes préviennent que cette construction sur le lac Poyang –étape hivernale pour plus d’un demi-million d’oiseaux migrateurs– pourrait affecter cet écosystème fragile et les espèces menacées qu’il abrite.
La Chine préside actuellement à Montréal les négociations de l’ONU sur la biodiversité, présentées comme la « dernière véritable chance » de pouvoir sauver les espèces et leurs habitats d’une destruction irréversible provoquée par les activités humaines.
Le cas du barrage de Poyang, qui se reconstitue lentement après avoir vu sa superficie réduite de plus des deux tiers, illustre les difficultés rencontrées par les écologistes en Chine.
Le défenseur de l’environnement Zhang Daqian explique que, s’il se concrétise, le projet de barrage de 3.000 mètres de long sur un chenal du lac le couperait du fleuve Yangtze, « faisant de Poyang un lac mort ».
La Chine a construit en soixante-dix ans plus de 50.000 barrages dans le bassin du Yangtze, notamment celui des Trois-Gorges malgré la vive opposition des écologistes.
Sur la même période, au moins 70% des marais du fleuve ont disparu, selon le ministère de l’Environnement.
Présenté initialement en 2016, le projet avait été suspendu après des plaintes d’écologistes. Mais face aux sécheresses plus fréquentes et extrêmes dans la région du fait du changement climatique, les choses ont changé.
Des touristes arpent la rive asséchée du lac de Poyang à Juijiang, dans la province centrale du Jiangxi en Chine le 5 novembre 2022 (AFP – Noel CELIS)
Des touristes arpent la rive asséchée du lac de Poyang à Juijiang, dans la province centrale du Jiangxi en Chine le 5 novembre 2022 (AFP – Noel CELIS)
La sécheresse a été en 2022 la plus extrême en 70 ans, la région entamant la saison sèche trois mois plus tôt qu’à l’accoutumée.
Le Poyang fournit en eau les 4,8 millions d’habitants de la province du Jiangxi. Pour le gouvernement local, cette infrastructure permettrait de conserver l’eau, d’irriguer davantage de terres agricoles et d’améliorer la navigation.
Une étude d’impact environnemental publiée en mai n’a laissé aux experts que deux semaines pour examiner 1.200 pages de documents et pour formuler des plaintes.
– Visiteurs hivernaux –
Les vasières du lac constituent la principale source d’alimentation hivernale de centaines de milliers d’oiseaux fuyant chaque automne le froid plus au nord. Parmi eux, la grue de Sibérie, en danger critique d’extinction, dont la population a été réduite à environ 4.000 oiseaux.
Des centaines d’oiseaux se rassemblaient début novembre autour de petites mares d’eau sur le lit craquelé du lac, a constaté l’AFP dans le comté de Yongxiu.
« Les oiseaux migrateurs continuent de venir à Poyang parce que c’est leur refuge hivernal habituel », décrit Chen, un employé, en regardant l’étendue sèche jonchée de coquilles de moules vides et de squelettes de poissons.
« Mais il n’y a ni poisson ni crevette pour les nourrir. Beaucoup d’oiseaux affluent dans les champs voisins et il a été demandé aux agriculteurs de laisser aux oiseaux un peu de leur riz non récolté », explique-t-il.
Les autorités ont fait pomper l’eau de réservoirs voisins pour former de petits points d’eau pour les volatiles.
« Il n’y a pas de conflit (entre les habitants et les oiseaux) parce que les oiseaux migrateurs sont des animaux protégés au niveau national et les gens ne leur feront pas de mal », décrit à l’AFP He Fangjin, employé dans un autre parc.
Au niveau de la colline voisine de Zhupao, un site populaire d’observation des oiseaux, quelque 90.000 oiseaux migrateurs ont été repérés d’octobre à début décembre, contre environ 62.000 oiseaux à la même période en 2021.
– Dégâts sur l’écosystème –
Ni les autorités locales, ni le ministère de l’Environnement n’ont répondu aux questions de l’AFP concernant l’état du projet, en particulier son éventuel calendrier.
S’il se concrétise, ce barrage perturbera les mouvements naturels de flux et de reflux avec le Yangtze, menaçant l’estran sur lequel se nourrissent les oiseaux, craint Lu Xixi, professeur de géographie à l’université nationale de Singapour.
Le barrage pourrait aussi porter atteinte à une autre espèce en danger critique d’extinction ayant élu domicile dans les eaux du lac: le marsouin aptère du Yangtze, qui ne compte plus que 1.000 individus.
Pendant la sécheresse, ils ont trouvé refuge dans le chenal que le barrage couperait, explique à l’AFP un garde forestier de la Ligue de protection de l’environnement de Pékin.
« Sans preuves scientifiques approfondies et (sans) élimination des risques environnementaux, le projet ne doit pas être poursuivi », a indiqué dans un communiqué l’ONG Les amis de la nature, établie à Pékin, plaidant pour une évaluation approfondie afin de déterminer les conséquences potentielles sur la migration des marsouins.
afp