Les tensions d’approvisionnement sur les médicaments se multiplient, touchant même les antibiotiques les plus prescrits, comme l’amoxicilline. Une situation qui met en exergue les limites du modèle économique pour ces molécules.
Le manque d’amoxicilline, l’un des antibiotiques les plus utilisés chez les enfants, risque de déboucher d’ici quelques jours sur une crise majeure de santé publique, encore pire que la bronchiolite, ont estimé les principales organisations de pédiatres et infectiologues
L’amoxicilline, qu’est-ce que c’est ?
L’amoxicilline fait partie des antibiotiques de la famille des bêta-lactamines, du groupe des pénicillines. Elle se présente sous deux formes, soit la molécule seule, soit en association avec de l’acide clavulanique, destiné à empêcher la destruction de l’amoxicilline par certaines bactéries. C’est l’antibiotique le plus largement prescrit chez les enfants, contre les angines, les otites, les pneumopathies…
Qui est concerné par les fortes tensions d’approvisionnement ?
En France, ce médicament subit de fortes tensions sous sa forme pédiatrique, a alerté courant novembre l’agence publique du médicament (ANSM), évoquant une situation qui pourrait durer jusqu’en mars. Son homologue espagnole a aussi tiré la sonnette d’alarme, tout comme l’Allemagne : le pays connaît des pénuries sur toute une gamme de médicaments, dont l’amoxicilline, mais aussi d’autres antibiotiques. Au Royaume-Uni, trois traitements à base de pénicilline font désormais l’objet d’un « protocole de grave pénurie ».
Le problème dépasse largement l’Europe. Aux Etats-Unis, l’amoxicilline est placée depuis octobre sur la liste des médicaments en pénurie de l’agence américaine du médicament (FDA). Celle-ci « travaille actuellement avec les fabricants agréés et d’autres acteurs au sein de la chaîne logistique », a déclaré l’agence à l’AFP.
Même son de cloche au Canada, ou encore en Australie où les autorités de santé ont placé récemment cet antibiotique sur la liste des médicaments pour lesquels les pharmaciens sont autorisés à trouver un produit de substitution.
Pourquoi ces pénuries ?
Les raisons sont multiples. La plupart des pays connaissent un rebond des infections hivernales, après deux ans où les gestes barrière et les confinements ont limité les maladies autres que le Covid.
Parallèlement, les usines, qui avaient baissé la production faute de demande, doivent se remettre en ordre de marche, ce qui nécessite un délai. En outre, les producteurs des principes actifs nécessaires à la fabrication sont confrontés à des contraintes en matière de capacités de production et de rareté des matières premières.
« Les ruptures de stock (à court terme) chez nos concurrents contribuent également aux ventes élevées imprévues de nos médicaments, et donc à des difficultés d’approvisionnement supplémentaires », souligne le laboratoire Sandoz – la division médicaments génériques du suisse Novartis – dans un courriel à l’AFP.
Le symptôme d’un problème plus large ?
Les antibiotiques sont de vieilles molécules : leurs brevets sont tombés dans le domaine public, et ils sont génériques, vendus très peu chers. Ces médicaments sont donc peu attractifs pour les grands laboratoires, qui se sont désengagés. Mais même pour les producteurs de génériques, l’équilibre économique devient difficile à tenir.
Le docteur Thomas Borel, directeur scientifique du Leem, la fédération française des entreprises du médicament, reconnaît ainsi des investissements industriels insuffisants « eu égard à la demande croissante sur ce type de médicaments », car le modèle économique fait qu’il est difficile pour les fabricants « de rentrer dans leurs frais ».
Par ailleurs, les principes actifs sont majoritairement produits en Asie, suite au mouvement de mondialisation des trente dernières années. Bilan : un nombre limité de laboratoires proposent encore des antibiotiques, environ une dizaine pour l’amoxicilline.
Quelles solutions ?
A court terme, les autorités sanitaires recommandent aux professionnels de santé de remplacer les molécules en pénurie par d’autres lorsque c’est possible, ou encore de limiter la durée des traitements.
De leur côté, les producteurs ont augmenté la cadence, comme le britannique GSK. Sandoz indique aussi avoir mis en œuvre des actions ponctuelles sur son site de production de Kundl en Autriche, notamment l’embauche de personnel supplémentaire, en sus d’investissements additionnels.
Mais plus largement, les spécialistes du secteur estiment qu’un nouveau modèle économique est à trouver, qui permette de combiner bien commun pour les patients et survie pour les laboratoires producteurs de ces vieux médicaments.
De son côté, Thomas Borel, du Leem, plaide pour « la prise en compte du fait que l’industrie du médicament doit être considérée comme un secteur stratégique sur lequel les puissances publiques doivent être beaucoup plus vigilantes que ces dernières années ».
AFP