Alors que le gouvernement doit présenter une nouvelle réforme des retraites, mardi, des travailleurs qui exercent des métiers pénibles ont expliqué à France 24 pourquoi ils y étaient opposés.
Je n’ai jamais fait grève de ma vie, mais si on me le demande, je le ferai
- Dominique, 59 ans, agent de maîtrise dans la grande distribution en Haute-Vienne
Cela fait trente ans que je suis dans la grande distribution. J’ai déjà été opéré aux deux épaules, pour soigner des tendinites dues aux mouvements répétitifs et aux charges lourdes que je transporte tout au long de la journée. Chaque jour, je porte environ 600 kilos de marchandise en tout. Je dois aussi me faire opérer des deux mains, pour recevoir des prothèses de pouces : à force d’arracher et de déchirer des cartons pour les mises en rayon, je n’ai plus d’articulation. Alors, si on me dit que ma retraite est repoussée, de quelques mois ou d’un an, je ne pourrai pas l’accepter. Plus on avance en âge, et plus on voit que le rythme de travail est dur à tenir. Il est bien plus difficile qu’il y a vingt ans de porter des charges, même mes genoux commencent à flancher.
Beaucoup de jeunes cherchent du travail, et je pense qu’il faudrait les former pour libérer les gens et leur permettre de prendre leur retraite à 62 ans. Je n’ai jamais fait grève ni manifesté de ma vie. Mais si on me le demande, je le ferai, parce que, là, on arrive à une limite qui est difficilement acceptable. À force de trop en demander aux gens, la corde risque de rompre, que ce soit physiquement ou psychiquement.
Beaucoup de mes collègues finissent avec des cancers à 60 ans
- Jean, 29 ans, maçon à Valence
Arriver à 60 ans en bonne santé, quand tu es maçon, c’est déjà compliqué, même avec des postes aménagés. Toute la journée, on avale de l’huile, de la graisse, du ciment, de la poussière, tout ce qui peut exister dans le bâtiment. On utilise le marteau tout le temps, le corps ramasse. Beaucoup de mes collègues finissent avec des cancers généralisés à 60 ans. Et même si tu y échappes, à partir de 50 ans, tu as les genoux en vrac, ou le dos, le canal carpien, les ligaments…
Certains de mes collègues sont brisés, ils marchent en canard. Il faut les aider tout le temps, ils ne peuvent plus travailler normalement, ils sont foutus. Alors s’il faut continuer jusqu’à 64 ans… Quand je les vois comme ça, je sais que je ne vais pas rester dans la maçonnerie. Je vais essayer de me reconvertir, et de rénover des appartements pour les louer. C’est le seul moyen pour ne pas travailler jusqu’à la mort. Quatre ans seulement que je suis maçon et je vois déjà que cela ne sera pas tenable. Mon dos me dit déjà qu’il n’est pas d’accord, alors que je n’ai pas encore 30 ans.
Mon grand-père me disait : ‘Il ne faut pas perdre sa vie à la gagner.’
- Joanna, 45 ans, infirmière en psychiatrie à Lurs
Je ne compte pas sur ma retraite, c’est impossible pour moi, de rester 22 ans encore comme infirmière. Quand j’ai commencé, on pouvait partir à 55 ans quand on avait trois enfants, ou sinon à 57 ans, mais cela a changé depuis longtemps.
Infirmier en psychiatrie, c’est un travail pénible. C’est une charge mentale lourde. Concrètement, tu ingurgites tout le malheur du monde, tu absorbes des histoires très dures durant les entretiens. J’ai fait un burn-out l’année dernière. J’ai une famille de quatre enfants… Je n’ai plus envie de me vouer uniquement à mon travail. Mon grand-père me disait : « Il ne faut pas perdre sa vie à la gagner ».
Je suis en train de réfléchir à moins consommer et à réduire mes dépenses pour moins travailler. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, mais la retraite devient quelque chose de plus en plus abstrait, je n’y crois plus… Je trouve déjà que les carrières sont trop longues, alors si on nous ajoute encore des années, c’est décourageant. Cela va générer un sentiment de rancœur et d’injustice.
Je ne vais pas pouvoir tenir
- Sofiane*, 46 ans, travailleur chez Amazon dans une grande métropole
*Le prénom a été changé.
La réforme, on en parlait ce matin avec mes collègues. Tout le monde est dégouté. Ça me déprime. J’ai 46 ans, et c’est déjà dur maintenant, alors s’il me reste encore vingt ans… Je me lève à 3 h 30, je charge et je décharge des colis pour Amazon. Tous les jours, je traite entre 10 et 15 bacs de colis, de 130 kilos chacun. C’est très physique, et il faut en plus aller très vite, donc c’est stressant.
Quand je termine ma journée, j’ai du mal à marcher, j’ai mal au dos, aux articulations, aux chevilles… Alors travailler comme ça à plus de 60 ans, ça me semble impossible. Je ne vais pas pouvoir tenir, je vais devoir trouver un métier plus adapté. Cette réforme, c’est n’importe quoi.
C’est un métier qui use, et je veux m’arrêter avant d’être trop usée
- Bénédicte, 60 ans, accompagnante d’élèves en situation de handicap en école maternelle à Forcalquier
J’ai été éducatrice de jeunes enfants en crèche pendant 25 ans, et depuis cinq ans, je suis accompagnante d’élèves en situation de handicap. J’ai eu une carrière hachée, avec trois enfants, un divorce… Je sais déjà que j’aurai une toute petite retraite, comme beaucoup de femmes seules. Pour le moment, je dois travailler jusqu’à mes 64 ans, et je ne sais pas exactement ce qui m’attend si la réforme passe. Mais j’ai décidé de ne pas renouveler mon contrat. Je préfère me mettre au chômage, vivre sur ce qu’il me reste d’économies ou entamer une formation jusqu’à ma retraite, parce que je n’en peux plus.
Je ne veux plus travailler avec des enfants. Je m’occupe d’un petit garçon très difficile, qui a vécu l’enfer alors qu’il n’a que quatre ans et demi. Je n’en peux plus de lui courir après, de le disputer, de le reprendre… C’est un métier qui use, et je veux m’arrêter avant d’être trop usée. Je considère que j’ai fait ma part de boulot, j’ai donné tout ce que je pouvais donner. Maintenant, je suis grand-mère, j’ai trois petites filles et j’ai envie de m’occuper d’elles.
À 62 ans, un quart des hommes les plus pauvres sont déjà morts. Je trouve ça scandaleux
- Balthazar, 22 ans, runner (commis de salle) en restauration à Paris
La retraite, c’est très flou pour moi. J’ai du mal à me projeter aussi loin, surtout que je ne veux pas travailler en restauration toute ma vie – de toute façon, c’est tellement physique que je ne pourrais pas faire ce travail jusqu’à 64 ans. Je ne sais pas si je serai encore vivant à 60 ans, s’il y aura eu d’autres réformes entre temps, où on en sera sur l’écologie… Donc, je ne me sens pas immédiatement concerné. Mais je suis absolument contre la réforme. Le but est de faire des économies, de faire produire plus le pays, en baissant les cotisations des entreprises et en faisant travailler les gens plus longtemps.
C’est sur les pauvres que cela va tomber, surtout qu’à 62 ans, un quart des hommes les plus pauvres sont déjà morts. Je trouve ça scandaleux.
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