Après sept ans de travaux de désamiantage puis de rénovation, la salle configurable de l’Ircam accueille ses premiers concerts mi-janvier 2023. Jean-Michel Jarre y présentera (more)Oxymore.
En poussant les portes de l’espace de projection de l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), à Paris, mi-décembre 2022, Jean-Michel Jarre ne venait pas seulement préparer l’interprétation en public de son album Oxymore sorti deux mois plus tôt. Car ce lieu, qui rouvre au public le 12 janvier 2023 après sept ans de fermeture pour cause de travaux de désamiantage puis de rénovation, est bien plus qu’une salle de concert.
Situé à 16 mètres sous la place Igor Stravinsky, c’est en lui-même un véritable instrument de musique. Son acoustique est configurable à l’envi, modifiable en direct, permettant de passer, par exemple, d’une ambiance de cathédrale à celle d’une boîte de nuit électro, de changer le temps de réverbération du son d’une demi-seconde à 4 secondes.
« Ce n’était pas prévu mais avec Oxymore, qui a été conçu en son multicanal, nous nous sommes dits que cela vaudrait la peine de profiter de la réouverture de cette salle pour en exploiter l’architecture unique en y créant une sorte de prologue à l’album », exposait Jean-Michel Jarre lors d’une visite de presse de la salle rénovée.
Une musique travaillée sur place dans la salle
Cette pièce musicale, intitulée (more)Oxymore, sera présentée le 14 janvier 2023. Le musicien l’a travaillée sur place avec l’équipe de l’Ircam. « Je suis venu avec un certain nombre de textures sonores différentes pour voir celles qui s’adaptent le mieux au fait de pouvoir changer presque instantanément d’acoustique et comment l’exploiter musicalement. »
La modularité de l’espace de projection tient à une série de dispositifs offrant des possibilités infinies. D’abord, 171 prismes, appelés périactes, ont une propriété différente sur chacune de leurs trois faces : absorbante, réfléchissante, diffusante. Selon les besoins, ils pivotent sur eux-mêmes, contrôlés par informatique indépendamment les uns des autres. Le plafond est divisé en trois panneaux qui peuvent s’abaisser ou s’élever jusqu’à 12 mètres. Une spatialisation sonore repose sur 350 hauts parleurs.
Pour le directeur de l’Ircam Frank Madlener, l’espace de projection doit être un lieu d’« expériences sonores uniques au monde pour le grand public ». Trois jours après la prestation de Jean-Michel Jarre, le compositeur Florent Caron Darras présentera Transfert, une composition où se mêlent électronique et instrumentistes de l’ensemble TM+ et créée à partir de chants d’oiseaux collectés en forêt.
Un dôme sonore immersif sur quatre niveaux
Pendant un an, le compositeur a développé des outils logiciels capables de détecter automatiquement les sons exploitables et sur quels plans acoustiques. Après quoi, ils ont été remplacés par des sons électroniques calés sur ce que font les oiseaux dans le temps et dans l’espace. « On obtient un paysage qui se déploie, il n’y a plus du tout d’oiseaux, juste la synthèse, pensée comme une sorte de forêt. » Le tout sera diffusé par un dôme sonore immersif constitué de 32 enceintes disposées en cercle sur 4 niveaux autour du public.
Il reste que l’espace de projection remplit d’autres missions que la réalisation de performances. Pièce maîtresse de l’Ircam dès l’origine, à la fin des années 1970, il sert à la recherche musicale et scientifique. « On valide et vérifie nos algorithmes de simulation acoustique de salles, cite Markus Noisternig, responsable de la recherche musicale à l’Ircam. On se place dans l’espace avec des centaines de micros, on change l’acoustique, les réflexions, etc. pour comparer ensuite le résultat avec nos simulations numériques pour savoir si celles-ci correspondent à la réalité. »
L’Ircam est à cet effet en train d’établir une base de données d’acoustiques différentes, destinée à entraîner des algorithmes d’apprentissage profond. Il sera possible à terme, à partir de mesures de micros, d’estimer le volume, la géométrie, l’acoustique d’un endroit.
Bouchons d’oreilles et micros
D’autres recherches concernent le son binaural appliqué à la réalité virtuelle. Ce type de son s’appuie sur les fonctions de transfert de la tête de l’auditeur, pour un résultat propre à la personne. Ces propriétés sont mesurées normalement dans une chambre anéchoïque, dans le cadre d’un processus long et inconfortable. L’espace de projection simplifie les choses en offrant la possibilité de simuler n’importe quelle source sonore.
« Nous avons un projet consistant à équiper une personne de bouchons d’oreille munis de petits micros, explique Markus Noisterni. L’algorithme va estimer quelles fonctions de transfert de la tête fonctionnent pour vous et, à partir de là, il va chercher dans la base de données l’acoustique correspondante au meilleur rendu sonore 3D. » Autant de raisons qui nourrissent la même excitation que celle de Jean-Michel Jarre à l’idée de travailler ici : « On avait hâte de récupérer cette salle ».
sciencesetavenir