Le lecanemab, molécule qui permet de ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer, vient d’être autorisé sur le marché américain. Porteur d’espoir pour les familles, il ne montre pour le moment qu’un effet modéré. Explications.
Un nouveau médicament contre Alzheimer, le lecanemab, vient d’être approuvé par la Food and drug administration (FDA-autorités de santé américaines) aux Etats-Unis. Commercialisé sous le nom de Leqembi, ce dernier a montré un ralentissement du déclin cognitif dû à Alzheimer de 27%. La molécule cible la plaque bêta-amyloïde, une protéine dont la présence anormalement importante dans le cerveau empêche les neurones de fonctionner et entraîne la démence. Le lecanemab a la propriété de se fixer sur les peptides bêta-amyloïdes, les empêchant de s’agglomérer en plaque.
Pour comprendre quels espoirs la mise sur le marché de ce nouveau produit laisse espérer aux malades et aux familles, Sciences et Avenir s’est entretenu avec le Pr Bruno Dubois, professeur de neurologie à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) et directeur de l’Institut de la Mémoire et de la Maladie d’Alzheimer (IM2A) à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Pr Bruno Dubois : Sur le plan conceptuel, l’avancée est très importante. On a maintenant un médicament qui a été bien développé et duquel on peut dire pour la première fois qu’il bloque les lésions bêta-amyloïdes. Certains médicaments récents ont également montré qu’ils avaient un effet sur la présence de plaque dans le cerveau mais sans montrer d’effets sur les symptômes. Pour la première fois, un médicament montre une amélioration sur les deux plans. Cela valide l’hypothèse qu’il existe bien une relation entre la présence de plaque dans le cerveau et l’apparition des symptômes. Cette cascade amyloïde a été récemment décriée (des fraudes ont été révélées au sujet de travaux fondamentaux du Français Sylvain Lesné, publiés en 2006 dans la revue Nature sur la protéine Aβ*56, ndlr).
Mais cette fois, l’hypothèse est confortée : les plaques amyloïdes déclenchent l’apparition de la protéine tau (qui mal repliée, s’agglomère et s’enchevêtre dans les neurones, ndlr), et entraîne des symptômes chez les malades. On est désormais capable d’affirmer cela car lorsque les lésions amyloïdes sont nettoyées par le médicament, la concentration en protéine tau dans le liquide céphalo-rachidien est moins concentrée. Les deux sont donc bien liés, puisque le médicament ne cible pas du tout la protéine tau. Or, elle disparaît en même temps que la plaque.
27% d’amélioration, c’est un chiffre porteur d’espoir, mais cela reste faible. Que pensez-vous de ces résultats ?
C’est une bonne nouvelle, qui était attendue. On constate un effet modeste : la maladie s’aggrave toujours mais moins que sans médicament. Les familles et les patients doivent le savoir pour ne pas être déçus. Il va y avoir un travail de pédagogie à faire, car il est compliqué de montrer que même si la situation n’est pas bonne, le patient va tout de même mieux avec le médicament que s’il n’y avait pas eu accès. En somme, les résultats sont intéressants, mais il faut en repréciser le contexte car cette molécule suscite beaucoup d’espoir pour l’avenir tout en relativisant son apport au patient. C’est là tout le paradoxe. On sait que l’amplitude de l’effet reste modéré et limité, d’autant plus que la durée d’observation dans les études est courte. Comme le lecanemab modifie le cours de la maladie, il sera intéressant d’en observer les effets sur une durée plus longue, quelques années et non plus 18 mois.
Le traitement présente des effets secondaires. Les jugez-vous trop importants vis-à-vis des bénéfices ?
Ils ne sont pas négligeables mais relativement peu fréquents, environ 10% des cas, et sont la plupart du temps asymptomatiques. Il s’agit d’œdèmes localisés, liés à l’évacuation de la plaque amyloïde par les médicaments, ce qui produit une accumulation de liquide. On a constaté que les œdèmes surviennent dans les régions où il y a le plus d’amélioration sur la présence de plaque amyloïde, il y a donc une relation claire entre les deux.
La fondation Vaincre Alzheimer a publié un communiqué qui prévoit le dépôt de dossier du lecanemab à l’Agence européenne du médicament (EMA) pour fin mars 2023. Peut-on espérer avoir accès un jour à ce médicament en France ?
Les autorités américaines, moins conservatrices qu’en Europe, se sont contentées sur une étude de phase II très robuste et n’ont pas attendu les résultats de l’étude de phase III, qui est toujours en cours (alors que traditionnellement, un médicament doit être validé après un essai clinique de phase III, réalisé sur un échantillon de population plus large qu’une phase II, ndlr). Reste à savoir si les régulateurs européens seront sur la même ligne ou s’ils attendront plus de preuves d’efficacité avant de se prononcer.
avenir