À Madagascar, où 90 % de la faune et la flore ne se trouve nulle part ailleurs sur Terre, la biodiversité mettra des millions d’années à se remettre de la chute qu’elle subit actuellement. Jusqu’à 23 millions d’années.
Quatrième plus grande île au monde derrière le Groenland, la Nouvelle-Guinée et Bornéo, Madagascar possède un écosystème digne d’un mini-continent. Avec une superficie légèrement plus grande que celle de la France, l’île regorge d’espèces endémiques, comme de nombreuses autres îles. Il y a environ 160 millions d’années, Madagascar se séparait du continent africain, lors de la fin du supercontinent Gondwana oriental. Quelque 80 millions d’années plus tard, l’île prend sa forme actuelle en se séparant de l’Inde, et la faune et la flore évoluent alors séparément du reste du monde.
Si bien qu’au total, 90 % de la biodiversité de Madagascar est endémique de l’île, c’est-à-dire qu’on ne la trouve nulle part ailleurs sur Terre. Et Madagascar, « en termes d’écosystèmes différents présents à Madagascar, cela ressemble moins à une île qu’à un mini-continent », explique Steven M. Goodman, co-auteur d’une nouvelle étude parue dans Nature communications, et biologiste à Madagascar. L’évolution des espèces y est plus rapide, mais de ce fait, les extinctions aussi. C’est ce qu’a voulu quantifier la nouvelle étude, qui s’est penchée sur le temps nécessaire pour recréer une biodiversité perdue.
Au minimum 3 millions d’années pour reconstruire la biodiversité
Les chercheurs ont tout d’abord comptabilisé depuis l’installation pérenne de l’Homme sur l’île il y a 2 500 ans, 249 espèces de mammifères. Parmi elles, 30 sont déjà éteintes, et 120 sont actuellement en voie de disparition et figurent sur la Liste rouge de l’UICN. Un phénomène qui tend à s’accélérer, alors que le changement climatique, la chasse excessive et la destruction des habitats mettent d’autant plus en danger le vivant. Et pour ces espèces, disparaître de l’île signifie disparaître tout court, faute d’habitat aussi spécifique que le leur.
Mais comment quantifier les conséquences de ces pertes ? Les chercheurs, après avoir recensé les différentes espèces de mammifères existant actuellement sur Madagascar et celles déjà disparues, ont utilisé un modèle de simulation informatique basé sur la théorie de la biogéographie insulaire. Il leur a permis de reconstruire l’arbre phylogénétique de tous ces mammifères pour évaluer le temps nécessaire pour qu’ils se différencient tous de leur ancêtre commun.
Et ont ensuite extrapolé ces résultats pour prévoir le temps nécessaire pour recréer une biodiversité équivalente à celle d’aujourd’hui, notamment dans le cas où les espèces en voie de disparition s’éteindraient.
Mais attention, si des espèces endémiques de Madagascar disparaissent, elles ne reviendront pas. Ce seront d’autres espèces qui apparaîtront, mais les autres seront définitivement perdues. « Il serait tout simplement impossible de les récupérer », détaille Steven M. Goodman.
Madagascar se trouve à un tournant pour la protection de sa biodiversité
Les résultats sont pires qu’imaginé : rien que pour reconstruire la biodiversité perdue ces 2 500 dernières années, il faudra au minimum 3 millions d’années. Et si les espèces en danger d’extinction disparaissent, ce sont 23 millions d’années nécessaires pour reconstruire un niveau de biodiversité équivalent. « C’est beaucoup plus long que ce que des études précédentes ont trouvé sur d’autres îles, comme la Nouvelle-Zélande ou les Caraïbes », s’inquiète Luis Valente, co-auteur de l’étude et biologiste à l’université de Groningen aux Pays-Bas.
« On savait déjà que Madagascar était un point chaud de la biodiversité, mais cette nouvelle recherche met en contexte à quel point cette diversité est précieuse. »
“Nous avons environ cinq ans pour vraiment faire avancer la conservation des forêts de Madagascar et des organismes que ces forêts abritent”
Madagascar, point chaud de la biodiversité mondiale, se trouve ainsi à un tournant historique : « Il y a encore une chance d’arranger les choses, mais fondamentalement, nous avons environ cinq ans pour vraiment faire avancer la conservation des forêts de Madagascar et des organismes que ces forêts abritent », déclare Steven M. Goodman. Mais ce travail de conservation est menacé par le contexte socio-économique de l’île, où les inégalités et la corruption politique empêchent les prises de décision dans le bon sens.
« Il est tout à fait clair qu’il existe des lignées entières de mammifères uniques qui n’existent qu’à Madagascar et qui ont disparu ou sont sur le point de disparaître, et si aucune action immédiate n’est prise, Madagascar va perdre 23 millions d’années d’histoire évolutive des mammifères, ce qui signifie que des lignées entières uniques à la face de la Terre n’existeront plus jamais, alarme Steven M. Goodman. Nous ne pouvons pas jeter l’éponge. Nous sommes obligés de faire avancer cette cause autant que nous le pouvons et d’essayer de faire comprendre au monde que c’est maintenant ou jamais. »
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